André Comte-Sponville, Homo Moralis : de la morale en entreprise

La morale est-elle compatible avec l’entreprise ?

Pour André Comte-Sponville, la morale est à la mode. Mais de là à compter sur la morale pour sortir le capitalisme de sa crise ou de ses mutations, il y a qu’un pas. Le philosophe nous met en garde : « attention à la bulle éthique, notamment dans le monde de l’entreprise ! ». Alors, nous sommes en droit de poser la question : le capitalisme est-il moral ?

photo andre comte sponville a usi

« La morale est à la mode ! »

Le sujet de l’éthique d’entreprise, arrivé il y a déjà plusieurs années d’outre-Atlantique, améliorerait le climat interne de l’entreprise et donc la productivité, l’image et donc les ventes. Comme on dit, « Ethics pay ». Ce développement de la « marquéthique » se révèle dans les nombreuses création de cycles de formation de management de l’éthique des affaires.

Pour Comte-Sponville, « l’éthique est une source de profit », ce qui le laisse philosophiquement perplexe. Ce serait ainsi bien la première fois que la vertu par elle seule ferait gagner de l’argent.

 

Le conférencier développe ensuite : si la morale et l’économie, le devoir et l’intérêt peuvent aller dans la même direction sans contradiction aucune, lorsque c’est le cas, il n’y a par définition aucun problème moral.

En réalité, l’éthique d’entreprise résout des problèmes qui ne se posent pas.

Le capitalisme est-il moral ?

Si l’on cherche à savoir laquelle des deux motivations s’est avérée la plus déterminante lorsqu’une décision business est prise en accord avec les principes éthiques, avec un peu de lucidité et d’humilité, il faut avouer que l’on a agi par intérêt. Et que l’action, bien qu’en accord avec la morale, n’a aucune valeur morale. Citant Kant, il explique en effet au public que la valeur propre d’une action morale est son désintéressement. On ne peut se féliciter moralement d’une chose certes conforme à la morale mais faite par intérêt. Pour illustrer cela, Kant expose dans ses ouvrages l’exemple d’un commerçant. Si celui-ci n’est honnête que pour garder ses clients, il agit bien conformément au devoir mais non pas par devoir. Si son action est certes conforme à la morale, elle n’a aucune valeur morale. Cela ne signifie pas pour autant que la morale n’a pas sa place dans l’entreprise. Il n’y a de morale que par et pour les individus.

 

citationcomtesponville

 

À la question « le capitalisme est il moral ? », le philosophe répond par la négative. Pour être moral ou immoral, il faudrait déjà être un sujet.

Un système impersonnel ne peut alors qu’être qu’amoral. La morale est sans pertinence aucune pour décrire ou expliquer quelque processus économique que ce soit. Les lois naturelles comme économiques n’ont jamais été décidées par personne, et bien que les secondes soient humaines, elles relèvent d’une objectivité. Pour autant, la question se pose pour les individus qui font fonctionner le capitalisme. À l’angle des motivations individuelles, le fonctionnement du capitalisme ne repose que sur l’intérêt personnel ou familial, c’est à dire à l’égoïsme vrai. Si ce dernier peut être dilaté à la taille de la famille, il n’en demeure pas moins égoïsme quand même.

Et selon le philosophe, c’est bien parce que le capitalisme fonctionne à l’égoïsme qu’il fonctionne si bien.

L’égoïsme étant le principal moteur de l’être humain, dans un système de marché, il ne fera jamais défaut. En revanche, si la compétence venait à manquer, le marché devrait l’éliminer assez vite.

De nouveau, André Comte-Sponville illustre son propos avec un exemple tiré de l’ouvrage d’un grand auteur, en l’occurence Adam Smith : si un excellent aubergiste peut-être un méchant homme, un saint peut être un très mauvais restaurateur. Et le marché récompensera le premier et non le second. Homo Economicus et Homo Moralis sont deux abstractions. Ainsi, le marxisme a du imposer par la contrainte cette soumission de l’intérêt personnel à l’intérêt général, que la morale seule s’est avérée impossible de fournir.

 

A lire : Homo Economicus, quel est notre degré d’addiction à la croissance économique ? Par David Cohen

 

le capitalisme est il moral cartoon

Rendre le capitalisme vertueux ? Un voeux pieux !

Si ce système fonctionne à l’égoïsme et fonctionne bien, créant de la richesse, il ne suffit pas. L’égoïsme et la richesse n’ont jamais suffit à créer une civilisation. Faut-il alors moraliser le capitalisme ? S’il s’agit de le rendre intrinsèquement vertueux, c’est un voeux pieux. Mais si l’on entend par là de lui fixer de l’extérieur un certain nombre de limites non marchandes et non marchandables, il faut le faire, on doit le faire et on le fait déjà. Quand on interdit le travail des enfants, que l’on établit les libertés syndicales, qu’on instaure les congés payés ou la retraite et que l’on sanctionne les abus de position dominante, tout cela consiste à poser des limites au fonctionnement amoral du marché.

 

A lire : La démocratie est-elle soluble dans le numérique ? Par Elisabeth Lulin-Grosdhomme 

 

Et si le philosophe approuve l’économie de marché, il refuse la société de marché. Un monde où tout serait à vendre : la santé, la justice… Si l’on pense que tout n’est pas marchandise, alors il devient hors de question de tout confier au marché. La conclusion est que nous avons besoin d’un État pour lui confier tout ce qui n’est pas à vendre. Il n’y pas à choisir entre l’État et le marché, puisque nous avons besoin des deux. Pour André Comte-Sponville, en étant lucide sur l’économie et la morale, on devient exigeant vers la politique.

 

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