Céline Dartanian - Demain, tous animistes ? - USI 2023
Céline Dartanian est chamane au sein du clan Tsaatan, situé au nord de la Mongolie. Auteure de l’ouvrage Dans le noir on voit mieux, cette ancienne du monde de la publicité nous partage à USI 2023 un témoignage unique nous expliquant comment sa découverte des pratiques ancestrales l’a amené à une reconversion spectaculaire.
Accomplir son destin
Prendre de la hauteur sur nos carrières et comprendre comment on peut changer son rapport au monde. Du micro (nous, en tant qu’individu) au macro (le cercle proche, l’entreprise, la collectivité). Parce que c’est possible. Céline Dartanian s’est, elle aussi, posé toutes ces questions. Elle n’a pas toujours été chamane. Dans sa vie d’avant, la jeune femme a travaillé dans des grands groupes médias comme TBWA ou TF1. Mais avant toute chose, qu’est-ce qu’un chamane ? Une définition s’impose : il s’agit d’un mot mongol désignant « celui qui va intercéder dans le monde des esprits » pour porter et rapporter des messages. On ne choisit pas d’être chamane, on est choisi. « On répare depuis le monde invisible tout un tas de divers maux : poisse, malheur, prospection, prospérité. »
À la suite de différents problèmes, elle décide de prendre du recul et de partir en voyage aux États-Unis avec des amis qui s'y initient au chamanisme. Un des chamanes lui dit qu'elle en est une et qu'il est là pour être son maître à penser. Elle n'y croit pas et refuse, puis à son retour elle commence à avoir du mal à dormir puisqu'elle entend des chuchotements et des cris l'appelant. Sur les conseils d’une psychologue, elle essaie alors la méditation. À peine rentrée de la consultation, elle s’allonge dans son lit : « Le bruit de la rivière occupe l’espace, puis la rivière passe sous mon lit, puis je deviens l’eau. Be Water My Friend. Je vois un jeune homme en face de moi. Il porte un costume mongol et me dit : “Nous t’attendons.” »
Un jour, en ouvrant Facebook, elle tombe sur une photo postée par une de ses amies, qui tourne un documentaire en Mongolie. Sur la photo, se trouve le même jeune homme : « il est le protagoniste du documentaire, est chamane et habite en Mongolie. » Elle choisit alors de suivre les signes de son destin et part à sa rencontre. En Mongolie, on reconnaît ses compétences, et elle commence son apprentissage pour officiellement devenir chamane. Lors de sa première cérémonie, un moment bien précis change sa vision du monde à tout jamais : « J’ai vu mes doigts partir en mille milliards d’atomes et rejoindre une espèce de grand tout dans un arbre immense. J’ai eu l’impression de décoller du sol de 50 centimètres. ». Elle découvre que tout est un, qu’un est tout, et ne voit désormais plus la nature de la même manière.
C’est quoi l’animisme ?
Depuis, Céline Dartanian en est convaincue : en chaque chose, humaine ou non humaine, il y a une âme animée. « Et ces âmes portent toutes en elle un élément du sacré. » C’est cela, l’essence de ce qu’elle nomme l’animisme. Selon la chamane, chacun peut en faire l’expérience et changer son rapport au monde, à défaut de pouvoir faire l’expérience du chamanisme.
Est-ce que tout a une âme, même un lieu ? Oui, répond-elle, exemple à l’appui : « L’île Seguin (Paris) *était reconnue comme l’île maudite. LVMH et Bouygues avaient tenté d’y monter des projets, mais tout avait échoué. Emerige a aujourd’hui un projet et m’a demandé de faire une cérémonie pour parler à l’âme de ce lieu. J’ai fait construire des totems parce qu'une âme bloquait le pont et tous les projets. L’île est quand même chargée : il y a eu une usine Renault, qui a eu une histoire particulière lors de la Guerre, avec la construction d’armes pour les Allemands. Après mon intervention, cela a fonctionné. *»
Dans les cultures ancestrales qu’elle connaît bien, certains lieux sont sacrés. Elle prend l’exemple de la forêt d'Osun-Oshogbo au Nigeria, où les derniers bosquets sacrés participent aussi à la sauvegarde de la biodiversité. « Le sacré vient en contradiction avec le profane. Peut-être qu’il faut avoir un peu peur pour ne pas détruire la nature ? », questionne habilement la chamane, en référence à la superpuissance habituelle de l’humain sur la nature.
Tous animistes pour préserver la nature
D’après elle, les cultures animistes sont à la pointe des enjeux d’aujourd’hui. Dans le monde, 5 % de gardiens préservent 80 % de la biodiversité, grâce à leurs cultures. Sans se limiter aux peuples autochtones, on compte 400 millions d’animistes dans le monde. Elle se pose alors une question simple : que se passerait-il si on devenait tous animistes ? D’abord, la notion de propriété de la nature n’existerait plus. Puis, on lui donnerait des entités juridiques, comme le fleuve Te Awa Tupua en Nouvelle-Zélande. Ce serait aussi un changement de notre rapport à la consommation : « On remercie la Terre de nous avoir sustentés. »
Au bout du compte, une telle bascule rebattrait également les cartes des business model. La ressource n’en serait plus vraiment une, mais deviendrait un égal, puisqu’elle a aussi une âme. « Je suis ici, pas pour ceux qu’on ne voit pas, mais pour ceux qu’on n’entend pas. Je les entends ces arbres, ces rivières, ces montagnes. Demain, il faut qu’on soit tous gardiens ! »
Take away
- Céline Dartanian a suivi les différents signes de son quotidien pour devenir chamane en Mongolie. Depuis, elle ne voit plus la nature de la même manière.
- Être animiste, c’est penser que toutes les choses qui constituent le monde ont une âme, qu’elles soient humaines ou pas.
- Les cultures animistes sont à la pointe des enjeux de préservation de la nature, d’après elle. Dans le monde, 5 % de gardiens préservent 80 % de la biodiversité de par leurs cultures.
- Si l’on devenait tous animistes, notre rapport à la nature et aux ressources changerait radicalement pour plus d’égalité et moins de supériorité.