Une fin de première journée d’USI en style, champagne et beau monde, pour parler d’un sujet important: « La diversité dans Intelligence Artificielle »
Sur scène : Facebook, dans l’auditoire: la presse parisienne ; les deux très bien représentés. Facebook nous propose d’écouter les avis de deux chercheuses francophones de renom, Joëlle Pineau (Montréal, également speakeuse à l’USI) et Camille Couprie (Paris), ainsi que du Big Boss de la recherche en IA chez Facebook, Yann LeCun (New York).
Le constat est unanime : il y a trop peu de femmes dans le domaine de l’Intelligence Artificielle (IA). Et tout le monde est d’accord pour dire que plus de diversité (de genre, mais pas uniquement) apporte énormément tant au niveau de la productivité que des thématiques de recherche abordées.
En revanche, les causes et solutions sont moins évidentes. Une observation claire : la quantité de femmes dans les carrières technologiques est en décroissance continue depuis les années 80 alors que dans beaucoup d’autres domaines, on arrive doucement à la parité. Alors d’où vient cette différence? Plusieurs théories sont discutées. /p>
Serait-ce la difficulté du travail, la technicité? Option peu probable lorsqu’on voit que dans des domaines comme la médecine, la biologie, la psychologie, les femmes ont largement compensé leur retard.
Est-ce que les femmes ont un problème avec les maths? Là encore, peu probable… Nos deux panélistes sont passionnées par les mathématiques depuis toujours. Et elles ont un parcours étonnamment semblable ; elles ont toutes les deux hésité entre une carrière artistique ou les mathématiques, pour Joëlle c’était la musique, pour Camille, le dessin. De plus, Yann fait la remarque pertinente que dans certains pays, comme la Roumanie, l’informatique est une carrière féminine ! D’autres pays comme la Turquie ont également plus de femmes que d’hommes dans les domaines technologiques.
Il semblerait donc que ce soit un problème culturel.
Dans notre civilisation occidentale, les maths et l’informatique c’est une histoire de testostérone. Et c’est une histoire récente : depuis les années 80 ! En effet, c’est une femme, Ada Lovelace qui, en 1840, créa le premier programme informatique, le premier algorithme. (P.S: son histoire mérite vraiment d’être connue !) Donc que c’est-il passé dans les années 80? L’explication la plus convaincante que j’ai pu lire implique les médias. En effet, c’est à cette époque qu’apparaissent dans les films et séries télévisées des personnages qui maitrisent à la perfection l’outil informatique, tous à lunettes et tous masculins. Cette « Culture Geek » a transmis le message à des générations de jeunes filles que l’informatique, ben ça n’était pas pour elles.
Quoi qu’il en soit, les jeunes filles ne s’inscrivent pas souvent en école ou en fac de math ou d’informatique. Parce que la volonté d’embaucher des femmes existe (nous dit-on) ! Mais il n’y aurait pas de candidates. C’est le problème de pipeline… j’y reviendrais…
Question du public : “N’y a-t-il pas non plus un problème de rétention des talents féminins qui choisissent de se concentrer sur leur famille au détriment de leur carrière ?”
Oui c’est un problème. On voit clairement un pourcentage plus élevé de femmes dans les positions juniors que dans les positions séniors dans le milieu des technologies. Mais, malheureusement, ça n’est pas un problème qui touche uniquement ce domaine mais qui est généralisable à beaucoup d’autres. De plus, les membres feminines du panel ont, à elles deux, pas moins de six enfants ! Joëlle pense même que, au contraire, une carrière scientifique à l’université offre énormément de flexibilité pour gérer à la fois sa vie professionnelle et sa vie familiale.
Autre question du public: “Avez-vous ressenti des freins dans votre carrière?”.
Là encore, un « non » unanime du panel. Elles disent ne pas avoir subi de discrimination, ni dans leurs études, ni dans leurs carrières. Je peux vous dire, de source sûre, que ça n’est pas le cas partout. Nombreux sont les témoignages de sexisme, plus ou moins ordinaire, que j’ai pu recueillir, et j’en ai moi-même été victime à maintes occasions dans le monde de la recherche académique et du privé. Donc bravo à Facebook et tant mieux pour eux/elles.
Donc, revenons-en à la cause évidente : le pipeline est vide. Alors comment faire pour le renflouer ? Et bien peu de solutions viennent à l’esprit. Le panel parle d’interventions au niveau du lycée, ils racontent certaines démarches entreprises par Facebook. Octo participe également à des initiatives de ce genre. L’impact de ces actions est difficilement mesurable, mais clairement, elles ne nuisent aucunement.
On parle également de la possibilité de rendre certaines choses obligatoires. Par exemple, les cours de coding au collège (ou même à l’école primaire) qui pourraient susciter des vocations. Ou encore des quotas de femmes à l’embauche, mais cette discrimination positive n’est pas toujours bien perçue. Nous avons eu ce débat à Octo et avons conclue que ça n’était pas la solution. On m’a assuré personnellement que je n’avais pas été embauchée sur cette base, ce qui m’a immensément rassurée. Je ne voulais pas avoir profité de cette politique, mais bien avoir été sélectionnée sur la base de mon mérite uniquement.
Il nous reste à discuter de l’importance des « role models » ; avons-nous besoin que les femmes dans la tech prennent plus de place sur la scène médiatique pour que des jeunes filles puissent s’identifier à elles ? Joëlle Pineau dit que ça n’est pas son métier. Oui c’est vrai, c’est une scientifique, elle fait de la recherche, elle fait avancer la connaissance et c’est déjà beaucoup. Cela étant dit, l’élection de Barack Obama à la présidence des USA n’aurait pas été possible sans l’incarnation de ce rôle par Morgan Freeman dans Deep Impact (et d’autres). Alors oui, nous avons besoin de plus de représentation des femmes dans la tech à la télévision et dans des séries et films à succès. Et ça ne ferait pas de mal que les entreprises mettent en avant leurs membres féminins afin de montrer que, en fait, c’est possible d’avoir une belle carrière dans notre milieu, tout en étant une femme.
Le débat continu…
Par Annabelle Blangero,
Senior Consultante en Data Science chez OCTO Technology
PHD en Neuroscience