Cynthia Fleury - Les pouvoirs de l’éthique sur l’individu et le collectif
« L’éthique nous permet d’être agents de nos vies, non pas au sens de toute puissance, mais d’implication. Et c’est précisément en s’impliquant dans le monde que nous protégeons ses sujets et notre démocratie ». C’est ainsi que Cynthia Fleury, philosophe, enseignante et chercheur au Muséum national d'histoire naturelle, débute sa conférence USI 2017. Une entrée en matière qu’elle poursuit en caractérisant les pouvoirs de l’éthique sur le bien-être des sociétés.
Manière d’être et de se comporter, valeur à toujours réactiver, langage universel, principe de responsabilité ou sagesse pratique, l’éthique est tout cela à la fois, comme l’explique Cynthia Fleury dans la première partie de son talk à l’USI. Ainsi, elle tient à revenir sur les définitions données à l’éthique à travers les âges pour mettre en avant la puissance de sa portée sur l’individu et les sociétés.
L’éthique : des définitions au service d’un sujet actif
« D’abord, l’éthique renvoie à une manière d’être, à l’éthos. C’est une façon d’articuler le plus justement possible et je crois, le plus créativement possible, les pratiques et les principes. Cette cohérence vient protéger notre sujet », rappelle la philosophe. Citant Sénèque, elle poursuit en signalant que l’éthique est une question d’implication et ne doit jamais, comme l’amitié, rester « impratiquée ». Et d'ajouter : « on peut la mettre en œuvre par les actes tout simplement, et c’est justement cela qui fait de l’éthique un langage universel, une valeur écosystémique permettant de tisser un lien entre différentes sphères disciplinaires, de se comprendre les uns et les autres ». Cela renvoie, poursuit-elle, à Aristote, pour qui l’éthique était une sagesse pratique. « Ce n’est certainement pas une vertu tiède. C’est une humilité devant l’acte, une intelligence en contexte ».
Enfin, chez Hannah Arendt par exemple, l’éthique révèle l’être. « Je deviens quelqu’un à partir du moment où je fais un acte éthique, ou un acte courageux. Cet acte permet un surgissement du sujet. D’une certaine manière, le souci des autres va venir créer en nous le souci de soi. Et en ce sens, les logiques de coopération sont réellement déterminantes dans la mise en œuvre de l’éthique », nous explique la philosophe. On parle alors d’individuation, la réalisation d’une interdépendance sociétale forte par le sujet qui lui donne la capacité ou le courage de « transformer le monde », de contribuer à sa fabrication.
L’éthique : une déterminante individuelle, démocratique, relationnelle et écologique
Pour Cynthia Fleury, cette indispensable phase de définition de l’éthique permet de comprendre pourquoi elle trouve de multiples de champs d’application. Elle manque parfois d’être appliquée par l’individu, le sujet, qui se fait prendre au piège par « l’interface sociétale », omniprésente au XXIe siècle. « Trop de gens sont obnubilés par la révision du powerpoint pour le lundi, par la rivalité mimétique d’une société du 'on', par la famille…Et ils se disent : j’aimerais aller sous un arbre mais la rentabilité d’aller sous un arbre est faible. C’est dommage car penser l’homme hors de la nature, isolé de l’environnement, du régime du vivant, c’est en fait une faute intellectuelle d’abord mais c’est surtout une faute morale », déplore l’experte. Cette éthique environnementale nous permet d’accéder à notre humanité aussi et donc aux autres. Et de protéger la planète, citant pour exemples la Charte de l’environnement ou la loi sur le préjudice écologique et la solidarité écologique.
Si l’éthique passe d’abord par l’individu sans lequel elle ne saurait pas actée, elle trouve aussi un champ d’application dans la robotique par exemple. « Aujourd’hui on demande aux humains de bien traiter les robots. L’éthique c’est tout cela, ce qui vient constitué notre humanité au sens d’humanisme. Considérer autrui comme une personne… ». L’éthique s’impose ainsi comme une déterminante démocratique. Outil de canalisation de la violence et langage en commun, « l’éthique de la discussion est au cœur de l’Etat de droit », poursuit-elle. Ce rêve et cette exigence que chacun d’entre nous a, à un moment donné, la possibilité de participer à la définition du juste. Elle vient inventer un style de vie et permet au sujet de s’épanouir ». Dans une époque touchée par le terrorisme et à l’heure des états d’urgence, l’éthique permet aux lanceurs d’alerte d’exprimer certaines contradictions et de se poser en vigies de la démocratie.
L’éthique pour préserver et inventer un monde en commun
Au final, estime Cynthia Fleury, « elle nous donne la force de préserver la démocratie dans laquelle nous sommes. Souci des autres, de la nature, de soi, l’éthique est un grand continuum ». Elle donne naissance à des sujets de plus en plus aptes à inventer et à préserver et finalement « protège un monde en commun ». Dans son ouvrage Les Irremplaçables, Cynthia Fleury soulignait déjà comment les démocrates, et finalement nous, ne pouvions nous dégager de notre responsabilité éthique. Parce que personne d’autre que moi ne peut avoir telle ou telle implication, l’éthique invite finalement à « un profond respect de la différence entre sujets. À l’inverse, un individu qui se sent remplaçable tombera malade, se sentira découragé, aura du ressentiment, autant de signes qui ne permettent pas la pérennisation de l’Etat de droit », insiste la philosophe. Pour conclure : « Plus je me soucie de moi, plus je suis capable de participer à l’édifice commun de notre démocratie ».