Cyril Dion - Des récits pour changer le monde - USI 2023
Cyril Dion est réalisateur et militant écologiste. Il a notamment réalisé Demain, documentaire césarisé en 2016, Après Demain et Animal. Ses engagements sont variés mais ont tous un point commun : changer les récits pour inventer une nouvelle société.
La force des récits
Pour mieux faire comprendre l’importance des récits collectifs sur les mouvements sociaux, Cyril Dion explique comment le cinéma a eu une influence considérable sur notre capacité à partager des histoires. Par exemple, « pendant la Seconde Guerre mondiale, les nazis ont produit une quantité astronomique de films pour renforcer dans l’esprit des Allemands la doctrine nazie ». Résultat : 1 milliard d’entrées en 1943 dans les cinémas allemands. Quand en France aujourd’hui, dans les bonnes années, on compte 200 millions d’entrées.
Au XXe siècle, ce sont finalement les Américains qui ont gagné cette bataille des récits. « En propageant dans le monde entier un récit capitaliste, consumériste, croissanciste, ils ont réussi à donner envie à une majeure partie de l’humanité de faire partie de ce projet » explique le réalisateur. Aujourd’hui, selon lui, ce sont les influenceurs à Dubaï qui perpétuent ce récit à base de villas et de piscines.
Cyril Dion pense que « des choses commencent à changer quand des millions de gens croient à la même chose. » Un extrait de son documentaire Après Demain est diffusé devant le public de l’USI : des images de Gandhi succèdent au discours de Martin Luther King et à des archives de la lutte pour l’IVG en France. Un extrait pour montrer que « nous, êtres humains, avons construit des organisations collectives sur des récits, sur des représentations du monde. »
Être vivant dans le monde vivant
Oui, le capitalisme est le système qui a gagné la bataille des récits et la bataille militaire après la Seconde Guerre mondiale, reconnaît Cyril Dion. Mais il n’est pas immuable. Aujourd’hui, en mettant les connaissances scientifiques bout à bout, on observe que le climat se dérègle, et beaucoup plus rapidement que ce qu’on imaginait. Si tous les États actuels tenaient les objectifs climatiques qu’ils se sont fixés, le réchauffement du climat serait de 2,5 °C à 2,7 °C. Dans le même temps, les espèces disparaissent entre 100 et 1 000 fois plus vite que la normale. « Dans tous les cas, on est en train de rendre cette planète inhabitable. Tout ça parce que nous sommes prisonniers d’un récit qui nous entraîne dans une direction où il faut jouer les règles du jeu : utiliser toujours plus d’énergie, de matière, faire plus de profit, pour être de plus en plus heureux. » Le réalisateur veut faire comprendre que nous avons atteint le bout de ce modèle.
Selon lui, nous devons plus largement reconsidérer notre place dans le système naturel. Démonstration par l’absurde : « C’est parce que la biosphère existe que les humains peuvent exister. Et c’est parce que les humains existent qu’ils ont créé des systèmes économiques. Actuellement, on réfléchit en fonction du plus petit cercle : l’économie. Or, sans planète, il ne peut plus y avoir d’économie ». Cela implique de ne plus se penser comme maître et possesseur de la nature, ce qui reste encore le récit prédominant. Cyril Dion met alors en avant la théorie du donut de Kate Raworth et l’économie symbiotique théorisée par Isabelle Delannoy, déjà évoquée lors de cette édition USI 2023 : des modèles économiques où l’humain ne se place plus au centre.
Un renouveau démocratique nécessaire ?
Mais pour parvenir à transformer ce récit et atteindre une activité économique régénératrice, nous avons besoin d’une nouvelle démocratie, explique le réalisateur. Un extrait du documentaire Un Monde Nouveau propose une voie de secours à la crise démocratique actuelle : « La vision alternative, c’est la démocratie ouverte, où le centre du pouvoir, le législatif, serait accessible à tous de manière égalitaire. Et je ne vois qu’une manière d’y arriver : le tirage au sort », développe Hélène Landemore, auteure du livre Open Democracy. Elle fait référence à la Convention citoyenne pour le climat, une initiative lancée en octobre 2019 en France. Pour autant, « est-on prêt à passer d’un récit où des personnes “expertes” sont là pour 5 ans ? Ou est-ce qu’on passe dans un récit où chacun de nous peut s’exprimer sur des questions complexes ? », interroge Cyril Dion, qui remet à nouveau la question des récits au cœur de sa conférence.
Tous ces bouleversements ne se feront pas sans l’instauration d’un rapport de force, d’après le réalisateur. Par exemple, Total connaît depuis 1972 la réalité du changement climatique, et a financé des études pour semer le doute sur le réchauffement climatique, d’abord, puis sur la responsabilité humaine. Pour conclure, Cyril Dion ne manque pas d’inscrire son propos dans l’actualité des contestations écologiques : « La radicalisation du rapport de force fait crier beaucoup de gens. », mais tient aussi à prédire l’avenir : « Les territoires affectés par le réchauffement climatique vont être des lieux de rébellion. Les rapports de force vont se renforcer et stimuler la transition. »
Take away
- Au XXème siècle, les Américains sont parvenus à imposer le récit du modèle capitaliste, notamment grâce au cinéma.
- Le capitalisme est un modèle qui atteint ses limites. Si tous les États actuels tenaient les objectifs climatiques fixés, le réchauffement serait de 2,5°C à 2,7°C. Dans le même temps, les espèces disparaissent entre 100 et 1 000 fois plus vite que la normale.
- Il ne faut plus réfléchir en fonction de l’économie mais en fonction de la biosphère. Si la planète devient inhabitable, plus rien ne sera possible.
- Nos modèles démocratiques occidentaux ne sont plus adaptés à l’écriture de nouvelles sociétés. L’expérience plus égalitaire de la Convention citoyenne pour le climat est la marche à suivre.
- Des changements collectifs ne se produiront pas sans l’instauration d’un rapport de force avec ceux qui détiennent le pouvoir.