Comment devenir une entreprise libérée en instaurant une culture de la Joie ?
CEO de Menlo Innovation et auteur de l'ouvrage Joy Inc, Richard Sheridan nous présente les clés de la culture de l’une des entreprises les plus libérées des États-Unis. Astuces, règles et expérimentations sont au cœur de ce retour d’expérience vivant et illustré, d’où chacun pourra tirer au moins un quick-win à rapporter dans son entreprise.
Pourquoi une culture de la "joie" ?
Écrire un livre de business avec les mots « joie » et « amour » sur la couverture est surprenant. Pourquoi parler de la joie ? En excellent storyteller - c’est d’ailleurs son titre sur sa carte de visite - Richard Sheridan relie les racines de sa passion à un évènement de son enfance où il construisit en cachette le meuble de salon pour ses parents, procurant un immense sentiment de joie et de délice chez sa mère, et de fierté pour lui.
« La joie naît du service à l’autre, de notre capacité à ravir le monde avec ce que nous faisons » selon Sheridan.
Mais cette joie enfantine a vite été remplacée par la peur et la désillusion qui règnent dans l’industrie logicielle, entre le chaos, la bureaucratie et les projets qui ne voient jamais le jour. Sheridan suggère à la salle de s’imaginer la déception des équipes de Microsoft qui ont lancé Windows Vista, et qui, après cinq ans de travail acharné, ont vu le fruit de leurs efforts se faire enterrer à peine sorti. Au début des années 2000, si sa carrière était en pleine accélération, Sheridan souligne à quel point il se sentait mourir. C’est un livre, Extreme Programming Explained décrivant une manière radicalement différente d’organiser une équipe d’ingénieurs, puis une vidéo sur une petite entreprise de design californienne à l’époque, Ideo, qui le font réfléchir. Ainsi, au lieu de fuir cette industrie, il s’est mis en tête de trouver de meilleures façons de l’organiser.
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Les clés de la culture Menlo
Une vidéo de Menlo fait découvrir à l’assistance les locaux de ce « paradis du travail ». Des locaux peu clinquants par rapport à ceux d’autres entreprises innovantes. Mais on est marqué par une chose : l’absence de murs. Si bien des articles ont tenté de démontrer que les open office étaient inefficaces voire toxiques pour le travail, Sheridan réplique que ce n’est pas seulement le lieu de travail qui doit être ouvert et collaboratif mais bien toute la culture de l’entreprise. Cela se traduit par quelques habitudes simples.
Il faut accepter le bruit. Un espace de travail efficace est un espace bruyant. Il y a peu de règlements chez Menlo, mais s’il en est un que Sheridan fait respecter : pas de bouchons d’oreilles ou de casque avec de la musique. Il faut pouvoir attraper au vol les idées des autres et laisser sa place à la serendipité.
Des binômes sont créés et changent tous les 5 jours. Ils travaillent ensemble sur la même tâche, en même temps et sur le même ordinateur.
Aucune technologie n’est utilisée pour communiquer en interne. Les équipes de Menlo utilisent ce qu’ils appellent le high speed voice protocol. Il suffit de se déplacer ou de se héler dans l’open space.
Une seule réunion quotidienne avec l’intégralité de l’équipe debout, en cercle, et qui, par paire, relate ce sur quoi chacun est en train de travailler, ce qu’il reste à accomplir et ce sur quoi il y a besoin d’aide. Aussi étonnant que cela puisse paraître, cette réunion ne dure que treize minutes.
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Quelques méthodes simples pour travailler avec les clients ont aussi révolutionné le travail chez Menlo :
Pour éviter de faire du hors-sujet lorsqu’ils créent du logiciel, les équipes de Menlo organisent des show & tell avec les clients, où ce sont ces derniers qui présentent le travail accompli. Cette habitude limite les frustrations liées aux quiproquos.
Le planning est aussi élaboré de manière innovante. Des items à construire sont inscrits sur des petits cartons qui sont assemblés par les clients sur le planning, pour être littéralement on the same page. En écartant ce qui ne tient pas dans le planning ou le budget, l’équipe crée ainsi de la clarté sur le travail à accomplir et sur la somme des choses qui ne seront pas faites.
Face à l’étonnement de leur travail avec du papier, Sheridan rétorque qu’il est cognitivement impossible de ne pas avoir lu quelque chose qui a été écrit à la main, contrairement à quelque chose qui a pu être copié-collé.
En interne, la production est ainsi organisée à partir d’items sur carton. Un système astucieux leur permet de signaler lorsqu’ils pensent que le travail est achevé, afin que l’équipe qui réalise les tests puisse valider que cela ait réellement été fait. Pour ceux qui ne sont pas habitués à travailler avec des équipes d’ingénieurs, Sheridan souligne avec humour que la réalité du mot « fait » n’est pas toujours la même. Quelque chose peut « être fait » mais pas « fini » ou bien « fini » mais pas « complété », et cette méthode est un bon levier pour le clarifier.
Enfin, pour s’assurer de créer des logiciels que les utilisateurs aiment, Menlo a fait venir dans son équipe des anthropologistes de la high tech, qui vont étudier les usagers dans leur environnement. C’est alors le travail des équipes de Menlo de produire une interface simple, à partir de cette plongée dans l’ambiguïté humaine.
Le fruit de cette organisation est non seulement de la joie au sein de l’espace de travail, mais aussi des produits qui ravissent les gens qui les utilisent – au point qu’ils puissent un jour déclarer : « j’aime le produit que vous avez fait, il a changé ma vie ». Ce témoignage nous donne à voir ce qu’il advient lorsqu’un dirigeant décide de construire pro-activement une entreprise où règne la joie. Et ça fonctionne ! « Les gens nous disent qu'ils peuvent sentir la joie quand ils entrent dans la pièce ».
Bravo Mr. Sheridan !
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