Dominique Buinier - Quand le vécu personnel résonne en entreprise - USI 2023
Ingénieure de formation, Dominique Buinier est directrice des opérations chez OCTO Technology. Il y a cinq ans, en prenant conscience de l’urgence écologique, elle a bien failli tout envoyer valser. Au lieu de cela, elle a choisi de rester en poste avec une casquette supplémentaire, celle de directrice de la Responsabilité Sociale et Environnementale, pour faire avancer ses convictions personnelles depuis l’intérieur.
Une histoire de déclic
« Vous souvenez-vous du moment où les questions environnementales ont bousculé votre vie ? », commence Dominique Buinier. Elle, oui. C’est un effondrement émotionnel dans sa cuisine, en septembre 2018, qui a tout chamboulé. « Ma fille vient d’intégrer un master de management de l’innovation et de la technologie. Elle se tient devant moi et elle ne va pas bien. Pendant la première semaine de cours, elle me raconte que tous les profs ont parlé de limites planétaires, de ressources finies… Avant que le responsable du master achève la semaine en apothéose en évoquant un effondrement possible. Tous les étudiants étaient sous le choc. »
Face à ces questionnements ( « Qu’est-ce qu’on a fait ? Tu savais, toi ? C’est quoi notre avenir à nous, les jeunes, dans un monde qui va s’effondrer ? »), Dominique Buinier se sent comme tétanisée, sans voix, impuissante*.* Alors après la stupeur, elle veut agir. À son échelle, elle veut chercher à comprendre et lit tout ce qu’elle peut sur le sujet.
Partir ou rester ?
Rapidement, elle se demande comment agir collectivement. « Est-ce que je rejoins un éco-lieu ? Est-ce que je rejoins une entreprise qui a déjà pivoté ? Ou est-ce que je reste là où je suis, une boîte que j’aime avec un poste de direction, et j’essaie de faire changer les choses ? ». Elle choisit de rester. En s’appuyant sur un petit groupe de cinq personnes engagées au sein de l’entreprise et sur la promulgation de la loi PACTE, elle impulse chez OCTO, lors de l’été 2019, l’adoption d’une nouvelle raison d’être et l’intégration du processus de certification B Corp.
Dans sa vie personnelle, elle continue de creuser ces sujets. Et dans sa tête se produit toujours le même schéma : « J’essaie d’en faire quelque chose dans ma vie personnelle, et après, j’en discute avec mes collègues et on essaie de voir ce qu’on peut faire chez OCTO. » Pour montrer les ponts entre vie personnelle et vie professionnelle en matière d’écologie, elle a sélectionné deux exemples. Celui que nous développerons ici est la question des choix alimentaires, « l’un des mes apprentissages les plus marquants sur la difficulté de changer en entreprise. ». Elle rappelle que l’alimentation a un impact direct sur le climat et la biodiversité, car produire un kilogramme de bœuf émet 28 kilos de CO2, contre 400 grammes de CO2 pour produire un kilogramme de pommes de terre. À titre individuel, on peut choisir ce qu’on met dans son assiette. Elle décide de le faire aussi chez OCTO, lors des événements de l’entreprise et des repas d’équipe. « Cette année, on a arrêté la viande rouge, mais vous pouvez encore acheter du porc, de la volaille. L’année prochaine, on supprime le porc, et l’année d’après on supprime la volaille ». Dans le cadre de l’entreprise, ces décisions s’accompagnent d’explications et de communications, car elles créent des résistances. Et l’alimentation n’est qu’un exemple parmi une multitude : « à ce jour, je n'ai aucun changement personnel qui n'a pas de résonance ou de terrain d'application en entreprise… »
Un cercle vertueux
Prendre conscience des limites de nos systèmes économiques implique de repenser les modèles d’affaires. Dans une entreprise dont le cœur d’activité est le numérique, un secteur d’activité très gourmand en énergie et matériaux, ce n’est pas une mince affaire. La réflexion se porte pour l’instant sur d’autres types de technologies : « On commence à regarder l’approche low tech parce qu’on n’est pas obligé de tout numériser. » Pour aller plus loin, en 2020, Octo a également fait son bilan carbone : « On s’est pris une claque. 97 % de notre empreinte est sur le Scope 3, dont 50 % sur le produit et les services. Notre cœur de métier, c’est 50 % de notre bilan carbone. ». Dans ce cas-là, explique la directrice, il faut tout repenser. OCTO s’engage alors dans la sensibilisation et la formation de ses collaborateurs. Fresque du Climat, atelier 2tonnes et réflexions sur les changements de leurs métiers sont maintenant au programme.
Ce que veut mettre en avant la CSO, c’est aussi l’engouement d’une partie de ses collaborateurs pour cette évolution responsable de l’entreprise. Deux ans en arrière, deux consultantes lui ont demandé un coin pour afficher des posters sur le climat et la biodiversité. Aujourd’hui, la cafétéria est devenue l’espace “OCTO s’engage”, où livres et BD sur ces sujets sont à disposition de tous. Même chose avec une friperie au sein de l’entreprise : « Ça s’est auto-organisé, ça tourne tout seul. » De belles choses se passent en entreprise, veut montrer la directrice.
Aller plus loin
Aujourd’hui, pour étendre ces changements à tout le secteur du numérique et aller plus loin dans le low-tech, OCTO réfléchit avec des écoles et d’autres entreprises du secteur. Mais Dominique Buinier souhaite aller encore plus loin avec les clients. « Si on veut vraiment bouger les modèles d’affaires, c’est avec nos clients qu’il faut avoir les discussions confrontantes. » De quel numérique les clients ont-ils besoin ? Comment les aider à numériser juste ce qu’il faut ? « Il faut choisir le numérique qu’on a envie d’avoir pour demain ! », clame Dominique Buinier.
Take away
- La question des choix alimentaires est importante en entreprise. Un kilogramme de bœuf émet 28 kilos de CO2, quand produire un kilogramme de pommes de terre émet 400 grammes de CO2.
- Le résultat du bilan carbone de l’entreprise a été une vraie claque pour la directrice. Avec 50 % des émissions issues des produits et services vendus, c’est tout le modèle d’affaires qui était remis en question.
- Elle a constaté un cercle vertueux au sein de l’entreprise, des changements motivant certains collaborateurs à prendre des initiatives plus responsables.
Sur ces photos, Dominique Buinier à la mention “321 PPM” inscrite sur elle. Mais pourquoi ? Born in PPM est le projet porté depuis la Cop27 par Mary-Lou Mauricio, photographe et formatrice à la fresque du climat, afin de sensibiliser à l'urgence climatique grâce à une série de portraits. Dans ces derniers, chacune des personnes photographiées pose avec le PPM de l'année de sa naissance marqué sur le corps et prend la pause en fonction du message qu’il souhaite passer. Cette création engagée vise à faire prendre conscience de la croissance exponentielle des gaz à effet de serre et également de l’injustice climatique. Mary-Lou Mauricio était présente au Musée du Quai Branly lors d’USI 2023 pour sensibiliser les participants qui souhaitaient se prêter à l’exercice.