Etienne Klein - Penser la science comme Einstein, avec un regard d’enfant
Physicien au CEA et philosophe des sciences, Etienne Klein a publié Le pays qu’habitait Albert Einstein en 2016. Pour USI 2017, il revient sur les grandes découvertes du chercheur et sur sa manière singulière de raisonner. Car tout part d’une question simple : comment Albert Einstein a t-il pu établir autant de théories sur l’univers sans aucun outil lui permettant de les vérifier empiriquement ? Einstein y voyait une raison simple : “mon retard mental, car c’est à un âge adulte avec un cerveau adulte que je me suis posé des questions d’enfant, comme la différence entre l’espace et le temps”.
Force est de constater qu’un siècle après la formulation de la théorie de la relativité générale, “nous ne disposons toujours pas des données empiriques qui nous permettraient, sans la pensée d’Einstein, de retrouver les principes qu’il a établis sur la structure et la forme de l’univers”. Si en 1915, Einstein établit ces grands principes théoriques alors que nous ne connaissons pratiquement rien à notre univers, que nous ne soupçonnons pas l’existence d’autres galaxies ni n’expliquons pourquoi les étoiles émettent de la lumière, c’est d’abord et avant tout “parce qu’il a réussi à mettre à distance l’état empirique et parce qu’il a essayé d’établir ce qu’une fiction théorique impliquerait dans le monde réel”.
Einstein et la pensée musculaire
Tout remonte selon Etienne Klein à l’année 1895: Einstein a 15 ans et est élève dans une école de Munich. Séparé de ses parents en Italie et ne supportant pas la discipline militaire de l’école , il tombe en dépression et promet qu’il ne remettra plus les pieds dans une classe où “il est impossible de poser des questions”.
Tout en continuant d’étudier en autodidacte, il écrit une lettre fondatrice à son oncle où il y expose toutes les questions qu’il se pose. Ces questions d’enfant qui guideront sa pensée pour le restant de son existence, portent toute sur la lumière : comment la lumière se forme-t-elle? De quoi se compose -t-elle? Que se passerait-il si un champ magnétique déformait l’éther, le transmetteur de la lumière? Pour l’une d’entre elle, il y répond par l’absurde : que se passerait-il si la lumière émettait de la lumière? Si la lumière émettait de la lumière, la vitesse de la lumière émise s’ajouterait à celle de la lumière émetteuse. De même que pour la lumière générée par le deuxième faisceau généré et ce à l’infini. Ainsi, si la lumière émettait de la lumière, il existerait une lumière à vitesse infinie, ce qui n’est pas concevable.
A cette question que se pose le Einstein “enfant”, Einstein y répond avec une démonstration d’adulte. Un an plus tard, alors qu’il échoue à rentrer sur concours à l’Ecole polytechnique de Zurich, il répond à une autre question : et si la lumière était une vraiment une onde électro-magnétique comme certaines scientifiques tendent à le penser ? Il s’imagine à cheval sur un rayon de lumière et se compare par la même occasion à un surfeur sur une vague stationnaire. Mais aucune onde stationnaire ne pouvant diffuser de la lumière, il en déduit que la lumière ne peut être un onde électro-magnétique. En mettant ainsi son propre corps en scène, Einstein s’appuie sur ce qu’il appelle la simple “pensée musculaire” qui l’aidera à remettre en cause des équations établies comme vraies.
[Voir l'intégralité de la conférence USI 2017 d'Etienne Klein](http://Physicien au CEA et philosophe des sciences, Etienne Klein a publié Le pays qu’habitait Albert Einstein en 2016. Pour USI 2017, il revient sur les grandes découvertes du chercheur et sur sa manière singulière de raisonner. Car tout part d’une question simple : comment Albert Einstein a t-il pu établir autant de théories sur l’univers sans aucun outil lui permettant de les vérifier empiriquement ? Einstein y voyait une raison simple : “mon retard mental, car c’est à un âge adulte avec un cerveau adulte que je me suis posé des questions d’enfant, comme la différence entre l’espace et le temps”. Force est de constater qu’un siècle après la formulation de la théorie de la relativité générale, “nous ne disposons toujours pas des données empiriques qui nous permettraient, sans la pensée d’Einstein, de retrouver les principes qu’il a établis sur la structure et la forme de l’univers”. Si en 1915, Einstein établit ces grands principes théoriques alors que nous ne connaissons pratiquement rien à notre univers, que nous ne soupçonnons pas l’existence d’autres galaxies ni n’expliquons pourquoi les étoiles émettent de la lumière, c’est d’abord et avant tout “parce qu’il a réussi à mettre à distance l’état empirique et parce qu’il a essayé d’établir ce qu’une fiction théorique impliquerait dans le monde réel”. Einstein et la pensée musculaire Tout remonte selon Etienne Klein à l’année 1895: Einstein a 15 ans et est élève dans une école de Munich. Séparé de ses parents en Italie et ne supportant pas la discipline militaire de l’école , il tombe en dépression et promet qu’il ne remettra plus les pieds dans une classe où “il est impossible de poser des questions”. Tout en continuant d’étudier en autodidacte, il écrit une lettre fondatrice à son oncle où il y expose toutes les questions qu’il se pose. Ces questions d’enfant qui guideront sa pensée pour le restant de son existence, portent toute sur la lumière : comment la lumière se forme-t-elle? De quoi se compose -t-elle? Que se passerait-il si un champ magnétique déformait l’éther, le transmetteur de la lumière? Pour l’une d’entre elle, il y répond par l’absurde : que se passerait-il si la lumière émettait de la lumière? Si la lumière émettait de la lumière, la vitesse de la lumière émise s’ajouterait à celle de la lumière émetteuse. De même que pour la lumière générée par le deuxième faisceau généré et ce à l’infini. Ainsi, si la lumière émettait de la lumière, il existerait une lumière à vitesse infinie, ce qui n’est pas concevable. A cette question que se pose le Einstein “enfant”, Einstein y répond avec une démonstration d’adulte. Un an plus tard, alors qu’il échoue à rentrer sur concours à l’Ecole polytechnique de Zurich, il répond à une autre question : et si la lumière était une vraiment une onde électro-magnétique comme certaines scientifiques tendent à le penser ? Il s’imagine à cheval sur un rayon de lumière et se compare par la même occasion à un surfeur sur une vague stationnaire. Mais aucune onde stationnaire ne pouvant diffuser de la lumière, il en déduit que la lumière ne peut être un onde électro-magnétique. En mettant ainsi son propre corps en scène, Einstein s’appuie sur ce qu’il appelle la simple “pensée musculaire” qui l’aidera à remettre en cause des équations établies comme vraies. Le raisonnement par équivalence En 1902, Einstein entre à l’Office des brevets de Berne en tant qu’ingénieur mais sans contact avec la communauté scientifique. C’est pourtant là selon Etienne Klein qu’Einstein va publier ses 5 articles phénoménaux sur la constance de la vitesse de la lumière quel que soit l'environnement dans lequel elle est émise, à la base de la théorie de la relativité restreinte. La force de son raisonnement tient alors dans le raisonnement par équivalence qu’il systématise. A l’origine d’une nouvelle théorie de la gravitation il y a “ce rêve semi éveillé où Einstein laisse son esprit partir tout en le maintenant sous contrôle”. Il y voit une personne en chute libre par gravitation. Or, imagine t-il, si une personne voyait son portefeuille tomber à côté d’elle, elle s’imaginerait en lévitation car elle ne sentirait pas son poids et verrait le portefeuille chuter à la même vitesse. Einstein affine son analyse et imagine alors une autre expérience : l’homme est maintenant dans une cabine d’ascenseur lancée à la même vitesse que l’accélération de la gravité. Bien qu’en chute libre, l’homme n’est plus capable de sentir les effets de la gravité. C’est ce qu’Einstein appelle alors le principe d’équivalence : une équivalence sur Terre de ce qui doit se passer dans le reste de l’espace sans que l’on puisse encore matériellement le vérifier. En poussant le principe d’équivalence jusqu’au bout, il imagine dans la même cabine d’ascenseur, lancée à pleine vitesse, une trajectoire de la lumière courbée par la gravitation, preuve de la courbure de l’espace-temps. L’apport de la géométrie non-euclidienne Selon Etienne Klein, Einstein comprend cependant qu’il ne pourra jamais vérifier ses lois avec les outils dont il dispose. Dans le milieu scientifique de l’époque, l’espace est pensé comme non-courbé et l’homme y subit un mouvement inertiel linéaire. Hors la difficulté est que l’espace qu’imagine Einstein n’est pas figé, c’est un élément physique évolutif et donc très difficile à tester empiriquement. Pour étayer sa théorie, Einstein a donc besoin de s’adjoindre des connaissances qu’il ne maîtrise pas en géométrie non-euclidienne. Marcel Grossman, qui le familiarise à la discipline, l’aide à franchir l’étape décisive de sa réflexion. En 1915, il publie sa loi sur la relativité générale selon laquelle la théorie de Newton ne s’applique pas dans l’univers. Il n’a que 30 ans, et c’est la première fois de sa vie qu’il rencontre un physicien.)
Le raisonnement par équivalence
En 1902, Einstein entre à l’Office des brevets de Berne en tant qu’ingénieur mais sans contact avec la communauté scientifique. C’est pourtant là selon Etienne Klein qu’Einstein va publier ses 5 articles phénoménaux sur la constance de la vitesse de la lumière quel que soit l'environnement dans lequel elle est émise, à la base de la théorie de la relativité restreinte. La force de son raisonnement tient alors dans le raisonnement par équivalence qu’il systématise.
A l’origine d’une nouvelle théorie de la gravitation il y a “ce rêve semi éveillé où Einstein laisse son esprit partir tout en le maintenant sous contrôle”. Il y voit une personne en chute libre par gravitation. Or, imagine t-il, si une personne voyait son portefeuille tomber à côté d’elle, elle s’imaginerait en lévitation car elle ne sentirait pas son poids et verrait le portefeuille chuter à la même vitesse. Einstein affine son analyse et imagine alors une autre expérience : l’homme est maintenant dans une cabine d’ascenseur lancée à la même vitesse que l’accélération de la gravité. Bien qu’en chute libre, l’homme n’est plus capable de sentir les effets de la gravité. C’est ce qu’Einstein appelle alors le principe d’équivalence : une équivalence sur Terre de ce qui doit se passer dans le reste de l’espace sans que l’on puisse encore matériellement le vérifier. En poussant le principe d’équivalence jusqu’au bout, il imagine dans la même cabine d’ascenseur, lancée à pleine vitesse, une trajectoire de la lumière courbée par la gravitation, preuve de la courbure de l’espace-temps.
L’apport de la géométrie non-euclidienne
Selon Etienne Klein, Einstein comprend cependant qu’il ne pourra jamais vérifier ses lois avec les outils dont il dispose. Dans le milieu scientifique de l’époque, l’espace est pensé comme non-courbé et l’homme y subit un mouvement inertiel linéaire. Hors la difficulté est que l’espace qu’imagine Einstein n’est pas figé, c’est un élément physique évolutif et donc très difficile à tester empiriquement. Pour étayer sa théorie, Einstein a donc besoin de s’adjoindre des connaissances qu’il ne maîtrise pas en géométrie non-euclidienne. Marcel Grossman, qui le familiarise à la discipline, l’aide à franchir l’étape décisive de sa réflexion. En 1915, il publie sa loi sur la relativité générale selon laquelle la théorie de Newton ne s’applique pas dans l’univers. Il n’a que 30 ans, et c’est la première fois de sa vie qu’il rencontre un physicien.