Fanny Picard - Une finance durable est-elle possible ? - USI 2023
En 2007, Fanny Picard fonde Alter Equity, le premier fonds à impact en France dans le non coté. Pour son talk à USI, la pionnière en la matière présente sa philosophie d’investissement, ainsi que les dynamiques et grands enjeux de la finance responsable.
La concrétisation d’une prise de conscience
L’histoire d’Alter Equity, c’est avant tout l’histoire de la bifurcation de Fanny Picard. Passée dans les départements de conseil en fusion et acquisition de Rothschild et Danone, elle crée en 2007 une microstructure pour aider le monde à être plus durable et plus heureux : Alter Equity.
Comment cela est-il arrivé ? Tout est parti d’une prise de conscience de la souffrance sociale au travail, et de l’urgence environnementale : « La préservation des ressources, l’accès à l’eau, les inondations, les sécheresses, l’épuisement de la biodiversité… Tout ça n’est pas seulement en 2100, c’est aujourd’hui. » Les limites planétaires dépassées (deux en 2022 : la pollution chimique et plastique, l’eau verte), c’est aussi aujourd’hui. « Notre génération porte une responsabilité majeure et inédite : la précédente ignorait le dérèglement climatique, après nous, il sera trop tard. »
Alors, comment contribuer au changement ? Fanny Picard raconte que trois autres convictions ont conduit à la fondation d’Alter Equity. Premièrement, l’entreprise produit des effets considérables sur ses salariés, ses clients, ses fournisseurs, l’environnement, etc. Ensuite, la finance produit un effet de levier dans l’orientation de ses flux financiers. Enfin, la finance durable permet de démontrer qu’il est possible d’être rentable et responsable. Résultat : « Nous avons fabriqué un modèle totalement disruptif d’investissement dans des entreprises utiles aux personnes et à l’environnement. » Une première, et des résultats : 4,6 millions de tonnes de CO2 évitées en investissant dans des entreprises dont l’activité a un impact positif, que ce soit sur le bien-être des individus, l’intégration dans la société et dans l’emploi ou des solutions aux grands enjeux climatiques ou à l’épuisement de la biodiversité.
Faire bifurquer le monde de l’entreprise
Ce qu’explique Fanny Picard, c’est que l’investissement du fonds d’impact Alter Equity se fait sous conditions. Par exemple, le capital de l’entreprise doit être ouvert à tous les salariés et l’entreprise doit faire son bilan carbone. Dans ce domaine, Alter Equity a été le premier fonds d’investissement à poser de telles conditions.
Fanny Picard pense que ce nouveau « modèle est porté par l’évolution de la société ». Les consommateurs veulent des produits et des services plus responsables, les dirigeants veulent intégrer la RSE dans leurs entreprises, et les salariés attendent plus de responsabilité de leur entreprise. Ce dernier point est même capital, d’après elle : « C’est peut-être le premier driver de la bifurcation de l’entreprise. Car il va être de plus en plus difficile de retenir les jeunes dans certains secteurs. »
Pour prouver la validité de ce modèle d’investissement, Fanny Picard mentionne des exemples. En voici quelques-uns, en commençant par Efficia, une société qui travaille à améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments. « Elle permet de réduire de 15 à 20 % la consommation d’énergie des bâtiments. » Fanny Picard s'attarde aussi sur Murphy, une entreprise qui répare l’électroménager pour éviter d’en acheter du neuf. Elle parle enfin de Zenride, une société qui propose à des entreprises de mettre à disposition une flotte de vélos électriques pour leurs salariés, en prenant en charge ⅔ des coûts et en laissant ⅓ à la charge du salarié. Un service essentiel, car « 74 % des trajets domicile-travail sont faits en voiture aujourd’hui. »
Grâce à un indicateur développé par Carbone 4, elle affirme que les entreprises soutenues par Alter Equity ont un ratio de 1,85, c’est-à-dire qu’elles « évitent à la société deux fois plus d’émissions qu’elles n’en engendrent. »
L’espoir de la finance durable ?
Ainsi, malgré un horizon de réchauffement de 3,8 °C d’ici 2100 (d'après Météo France et le CNRS) et le fait que certaines régions du monde ne seront plus habitables, elle arrive à garder espoir en comptant sur la finance durable : « Les efforts et les investissements à faire restent totalement atteignables. Cela représente entre un 1 % et 3,5 % du PIB. Si les politiques adéquates sont prises, on peut maintenir des conditions de vie supportables. »
Dans le même temps, explique-t-elle, l’entreprise n’aura bientôt plus le choix d’intégrer de nouveaux paradigmes, « sinon elle ne pourra pas continuer à croître. Un certain nombre de coûts vont exploser. Consommer moins, être dans la sobriété de l’entreprise et pas seulement des particuliers, c’est nécessaire. » Elle termine en rappelant que si bifurquer n’est désormais plus un choix, il a, en plus, le bénéfice d’être rentable. Il est indispensable, conclut-elle « d’utiliser l'investissement au service de l’intérêt général. »
Take away
- En 2007, la création d’Alter Equity fut une première dans le monde des fonds d’investissement.
- Le changement de paradigme des entreprises s’inscrit dans l’évolution de la société. Les consommateurs demandent des produits plus responsables et les salariés attendent plus de la part de leur entreprise. Quant aux dirigeants, ils sont de plus en plus nombreux à vouloir intégrer la RSE dans leurs entreprises.
- La planète pourrait se réchauffer de 3,8°C d’ici 2100, d'après Météo France et le CNRS. Dans ce contexte, la bifurcation des entreprises est nécessaire.
- En s’adaptant, elle souhaite que les entreprises continuent à croître. Bonne nouvelle d’après elle, la bifurcation a le bénéfice d’être rentable.