Vincent Bontems - De quoi l'innovation fut-elle le nom ?
Philosophe des techniques pour le compte du CEA, Vincent Bontems s’interroge à l’USI 2016 sur la définition et les origines du terme « innovation ». Utilisé aujourd’hui à tort et à travers, ce mot véhicule des fantasmes de découvertes révolutionnaires et d’avancées scientifiques, mais sa signification intrinsèque nous échappe encore tant elle a évolué parfois de manière paradoxale au fil des ans.
Selon Vincent Bontems, ce thème s’impose dans la recherche scientifique car il est devenu, comme théorisait Jean-Paul Sartre, notre « horizon indépassable ». L’innovation nous apparaît comme la meilleure chance que nous ayons de résoudre les problèmes en termes d’emploi, de compétitivité, de défis environnementaux, comme le changement climatique ou la pénurie de ressources énergétiques, ou sanitaires comme le vieillissement de notre société.
Faut-il innover ?
L’innovation est notre panacée. Mais qu’est-ce donc ? Sans définition précise nous avançons à l’aveugle et risquons de nous méprendre sur le bien-fondé de cette sacrosainte innovation. Une étude de la NSF datant de 1974 stipulait ainsi que « l’usage du terme « innovation » est contreproductif ». Contreproductif car galvaudé et abusif.
Pour mesurer l’innovation, l’un des indicateurs les plus mis en avant est le taux d’homologation de brevets. Avec un résultat de 80 %, le CEA était ainsi récemment désigné par Reuters comme la firme la plus innovante du monde, devançant le MIT ou les firmes asiatiques. Un classement biaisé pour Vincent Bontems, la création de brevets relevant plus d’une volonté d’assurer un monopole et une maîtrise de la monétarisation des créations que de l’innovation pure. Il cite l’exemple d’Apple, qui n’investit que 2 % dans la recherche tout en demeurant l’une des entreprises les plus puissantes et innovantes au monde. Si les doutes sont permis quant à la pertinence d’une innovation intensive, nul doute que le besoin d’entreprendre, de créer et de développer de nouvelles idées ne date pas d’hier.
Innovation story
Innovation dérive du latin innovatio qui au XIIIe-XIVe siècle signifiait « renouveler à l’identique ». Un paradoxe qui se corrige par la suite pour déboucher sur une définition plus ressemblante au sens contemporain : « introduire quelque chose de nouveau dans quelque chose d’ancien ».
D’abord employé dans le vocabulaire juridique notamment lors de l’ajout d’une nouvelle clause dans un contrat, le mot débarque ensuite dans les discussions théologiques comme une source suspecte de changement. Les gens apprennent à se méfier de l’innovation. Les choses évoluent au XVIe siècle avec Machiavel qui, dans Le Prince, démontre comment « prendre le pouvoir et le conserver ». Il envisage deux options : agir avec prudence en respectant les traditions, ou agir avec violence en prenant un risque plus ou moins modéré. C’est cette dernière vision, cette création de rupture qui représente pour lui l’innovation.
Francis Bacon, inventeur de la notion de progrès, ajoute à la notion de contrôle celle de nécessité : chaque innovation est un risque mais le plus grand risque est de ne pas innover. Il faut alors passer de la société de reproduction à société d’innovation. Une métamorphose actée depuis longtemps en 1962 lorsqu’Everett Rogers déclare dans The diffusion of innovations que « la transformation des comportements se fait par l’utilisation de nouveaux produits. » L’innovation apparaît comme source d’évolution sociologique indispensable à la stimulation économique.
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Casser pour reconstruire
Il est nécessaire de renouveler notre base de connaissance pour aboutir à un concept qui influe sur notre réel.
« Innover c’est envoyer un signal vers le marché pour imposer de nouveaux standards techniques » affirme le philosophe.
Selon l’économiste autrichien du XXe siècle, Joseph Schumpeter, « l’innovation est une destruction créatrice ». En changeant les règles du jeu on crée de la concurrence. Dans la tradition libérale, les faillites sont ainsi bénéfiques car elles permettent de corriger les erreurs passées en repartant à zéro. Mais l’innovation doit se faire collectivement et non pas au service de quelques géants. Les cartes doivent être rebattues pour permettre à l’innovation d’embrasser sa dimension disruptive et que, comme le préconise Clayton Christensen, tout le monde puisse s’enrichir en repartant du bas. L’idéologie mania a tendance à duper les petites entreprises qui développent de nouvelles idées avant de les revendre à de grands groupes qui n’ont qu’à faire leur marché. Un déséquilibre à modifier pour Vincent Bontems qui reste cependant sceptique face à cet engouement. « Nous surestimons énormément l’impact de l’innovation » déclare le philosophe qui y voit une idéologie de notre temps, mais reste persuadé que seules les découvertes anciennes furent à l’origine de réels bouleversements.
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