Isabelle Delannoy - Une économie en symbiose avec la nature ? - USI 2023
Isabelle Delannoy est une ingénieure en agriculture et environnementaliste française. Elle est l’architecte de la théorie de l’économie symbiotique, développée dans le livre L’économie symbiotique, paru en 2017. Fervente défenseuse d’une nouvelle approche en harmonie avec les écosystèmes, elle a également co-scénarisé le film Home, réalisé par Yann Arthus-Bertrand en 2009 et visionné par 800 millions de personnes dans le monde.
S’inspirer des abeilles
Pour introduire son propos, Isabelle Delannoy interpelle volontairement l’assemblée : « Est-ce que vous êtes sûrs d’avoir accès à vos besoins dans 6 mois, 9 mois, 10 ans, deux semaines ? Personne ne peut me dire oui, à part ceux qui sont dans le régénératif ». Le décor est planté. S’en suit une métaphore avec l’abeille, vécue par l’ingénieure après une altercation avec l’équipe de production du film Home : « Je prends un sandwich, je vais dans le parc, je regarde les pâquerettes. Je vois une abeille, j’ai un déclic. On prend, mais on ne rend jamais. L’abeille, quand elle va chercher son nectar, elle se charge de pollen, elle va sur une autre fleur, elle la pollinise et elle contribue à régénérer le milieu duquel elle dépend ».
Son intervention à USI vise à prouver deux choses : plutôt qu’une économie qui préserve les équilibres écologiques, nous devons façonner une économie qui contribue à régénérer les équilibres planétaires. Plutôt que de contraindre l’humain à se priver, il faut en faire un catalyseur. « En chimie, un catalyseur est une espèce chimique qui permet à deux molécules de se rencontrer et de faire une réaction. Sans lui, elles auraient mis un temps infini à se rencontrer. » Selon Isabelle Delannoy, l’humain, grâce à sa puissance conceptuelle, peut devenir catalyseur des équilibres planétaires.
Des pratiques économiques communes
Pour qu’une pratique soit capable de régénérer des écosystèmes, elle doit obéir à 6 principes communs, d’après l’ingénieure : valoriser la diversité des ressources, superposer des flux de ressources et de valeurs et s’organiser en réseaux d’acteurs. Ce sont les trois « principes constructeurs ». Ensuite, les trois « principes régulateurs » : utiliser en priorité les services rendus par les écosystèmes, rechercher l’efficience maximale dans l’utilisation de l’énergie, de matière et d’information, et s’inscrire dans le respect des équilibres planétaires. Ensemble, tous ces principes communs permettent de comprendre les nouvelles règles du jeu économique. « Ils forment un jeu de lego avec lesquels on va penser nos modèles pour devenir régénératif. »
D’après elle « 2022 a été une année extraordinaire », car le GIEC a adoubé les théories de l’économie symbiotique. Les scientifiques ont identifié deux grandes voies pour s’adapter au réchauffement climatique : associer l’atténuation, l’adaptation et l’inclusion sociale d’un côté, associer les entreprises, les citoyens consommateurs et les gouvernements de l’autre.
L’économie symbiotique au-delà de la décroissance
Isabelle Delannoy tient à se démarquer des théories économiques de la décroissance. L’ingénieure juge que ces théories visent à limiter le paradigme économique actuel sans pour autant en sortir. Selon elle, nous devons au contraire nous diriger vers « un moteur qui régénère les ressources », et ne plus continuer avec un « moteur dont l’essence est de détruire les ressources », même si ce dernier est volontairement limité.__
__Pour démontrer la supériorité de ce modèle, elle présente plusieurs exemples. Nous retiendrons l’histoire d’Henri-Joseph, ancien pharmacien reconverti en producteur de plantes médicinales en Guadeloupe. « Sur ses huit hectares de jardin, il a construit son exploitation par des associations symbiotiques. Avec une légumineuse, il alimente en azote son herbe à pic. Pour produire de l’huile de galba, précieuse et chère à produire, car il faut casser une coque, il a fait revenir des chauves-souris. Elles cassent elles-mêmes la coque pour se nourrir. La récolte est donc gratuite. Il gagne des charges. Il a également découvert qu’il abritait l’une des espèces les plus riches en indigotine du monde. Il vient de créer le premier atelier de taille industrielle en indigo pour alimenter les fabriques de textile éthique de France et d’Europe. » Résultat : 2 millions d’euros de chiffre d’affaires en ne vendant que dans les marchés locaux, ce qui favorise l’économie locale. 1 euro dépensé au niveau local crée 3,5 euros de PIB territorial, rappelle l’ingénieure, avant de finir sur un message d’espoir : « L’économie de demain existe déjà. Il faut de l’innovation organisationnelle, sociale, culturelle. Ce qui coûte cher, c’est de rendre écologique un moteur qui n’est pas fait pour ça. »
Take away
- Telle l’abeille qui prend du nectar tout en permettant la floraison, l’humain doit penser son rôle dans la nature comme un régénérateur.
- Dans l’économie symbiotique, l’humain joue le rôle du catalyseur grâce à sa puissance conceptuelle. Il déclenche des réactions en associant différents éléments.
- Il ne s’agit pas de limiter le paradigme économique actuel, mais de le bouleverser avec de nouveaux principes pour le faire devenir régénératif.
- L’économie symbiotique favorise aussi l’économie locale. 1 euro dépensé au niveau local crée en moyenne 3,5 euros de PIB territorial.