Interview Juan Enriquez : "Ce sont toutes nos découvertes qui conduisent à une révolution"
Découvertes technologiques, mutations biologiques... Non, nous ne courons pas à notre perte !
A la suite du talk de Juan Enriquez "Homo Evolutis" à USI 2016, nous avons souhaité connaître son avis sur la relation délicate qui unit l'humain aux nouvelles technologies.
L'interview est disponible en version originale ici
L’Homme est-il le réellement aux commandes de son évolution ?
Absolument. Les décisions ne sont pas prises par une poignée de personnes évidemment. Ça ne fonctionne pas comme ça. Ce sont des milliers d’expériences quotidiennes qui permettent d’affiner ceci ou cela... C’est un peu comme construire un château de sable : tous les grains de sable mis ensemble forme une vaste construction. Les questions que se posent les chercheurs n'ont d'ailleurs pas directement trait à l'évolution. Ils commencent par se demander comment soigner le sida ou le cancer. Comment faire en sorte que quelqu’un de très petit puisse atteindre une taille normale, etc.
Tout ceci conduit ensuite à des changements profonds. Ce sont toutes les recherches et les découvertes que nous faisons, sur différents sujets , qui conduisent à une révolution.
“Ce sont toutes les découvertes que nous faisons qui conduisent à une révolution.”
Peut-on faire confiance aux humains pour utiliser ces découvertes à bon escient ? L’Homme n’a pas toujours fait preuve d’une grande sagesse...
Quel autre choix avons-nous ? Est-ce que je préfèrerais que nos politiciens soient plus intelligents, par exemple, ou plus sages ? Bien sur ! Mais il faut faire avec ce que l’on a. C’est aussi simple que ça !
La technologie nous fait évoluer rapidement. Lors d’une interview, Yuval Harari nous disait “Nos descendants pourraient bien ne pas être humains. Ils pourraient même ne pas être organiques”. Êtes-vous d’accord ?
Oui, je pense qu’il a tout à fait raison. Si nous voulions un jour quitter notre système solaire, nous ne pourrions pas le faire avec notre conception biologique actuelle. Notre ADN est trop fragile. Il faudrait reconfigurer en profondeur le corps humain, pour devenir résistant aux radiations par exemple, ou être capable de respirer dans une atmosphère différente.
Nous naissons avec une seule cellule, pour en devenir ensuite des milliers de milliards. Parfois, les choses se passent mal durant ce processus – c’est comme ça que certaines personnes ont des déformations génétiques, ou l’impression que leur corps n’a pas le sexe qu’il devrait avoir, etc.
Tout ceci est lié à cette cascade de cellules et d’hormones. Imaginez ce processus de multiplication des cellules soumis à une gravité correspondant à ⅓ de celle de la Terre. Quel serait le résultat ? Je serais surpris que nous puissions avoir des enfants sur Mars avec notre conception biologique actuelle... Il faudrait donc reconfigurer notre corps, ne serait-ce que pour découvrir les planètes environnantes. .Et nous ne parlons pas ici d’un processus darwinien qui nous pousserait à évoluer dans cette direction. C’est un choix délibéré : “Je vais changer d’environnement, il faut donc que je change mon métabolisme". C’est une logique d’évolution différente.
A lire : Interview de Yuval Noah Harari - "Nos descendants pourraient bien ne pas être humains..."
Vos recherches vous conduisent à des découvertes et perspectives formidables, et peut-être aussi terrifiantes...
Pourquoi terrifiantes ? Imaginez un instant que vous soyez né à une autre époque. Votre naissance est le fait du hasard. Vous ne savez pas où vous allez atterrir, à quoi vous allez ressembler, si vous serez riche ou pauvre, dans un milieu éduqué ou non, etc.
Placez cela dans un contexte historique ; ne sachant pas si vous serez l’enfant d’un roi ou d’un paysan (ce qui était bien plus probable !), à quelle période de l'histoire aimeriez-vous naître ? En 1500 ? En l’an 300 ?
La réponse est assez évidente. Vous avez bien plus de chances de survie, de faire des études et de faire valoir vos Droits de l’Homme aujourd’hui. Les choses ne sont pas parfaites. Mais on s’en sort beaucoup mieux aujourd’hui qu’il y a 30 ans. Nous avons éliminé la plupart des maladie infantiles, les risques mortalité maternelle, etc.
Alors, quand vous dites “les perspectives ne sont-elles pas terrifiantes ?”, la réponse est oui. Mais comparé à quoi ? Toutes les générations ont pensé que c’était la fin du monde… Et certaines n’étaient pas loin de la vérité !
Pensez-vous que la peur du changement et des nouvelles technologies – cette appréhension permanente de la fin du monde – est quelque chose de profondément humain ?
Je crois qu’il est bien utile d’avoir des gens optimistes, et d’autres qui ont peur. Vous savez, il existe une raison physique à la timidité. Les réseaux sociaux et les relations sont comme des toiles d’araignées. Certaines personnes sont pile au centre, et comptent des centaines d’amis. D’autres sont loin de tout ça, en périphérie, et n’ont que deux ou trois amis. La question est : où voulez-vous vous situer ? Ca dépend, me direz-vous.
Si vous êtes rédacteur en chef ou social media manager, vous aurez fatalement envie d’être au coeur de la toile. Mais que se passe-t-il le jour où une épidémie se déclare ? Vos chances de survies sont bien moins grandes que celles d’une personne plus isolée ! Il y a donc une bonne raison pour laquelle les gens timides existent. Ils survivent.
Parfois, des idées formidables viennent de ces personnes en périphérie, parce qu’elles ne ressassent pas en permanence les même choses que tout le monde. Loin du bruit ambiant, elles pensent par elles-mêmes. C’est pour ça qu’il très important d’écouter les personnes timides, et les idées qui diffèrent des vôtres. Même si vous n’êtes absolument pas d’accord.
Les gens qui parlent tout le temps n’apprennent généralement pas grand-chose.
C’est la deuxième fois que vous êtes speaker à l’USI. Que pensez-vous de la conférence ?
C’est un évènement impressionnant ! La première fois que je suis venu, la conférence se tenait sous un chapiteau. Elle était bien plus petite, moins institutionnelle mais bourrée d’énergie. L’event a pris du galon depuis. Il y a un réel engagement du public.
Je pense que proposer des choses comme des lunch box pour 4 personnes est une très bonne idée, parce que ça encourage les gens à partager un moment. Plus la conférence va grossir, plus il sera important de créer des groupes qui puissent se connecter les uns aux autres. C'est très facile de s’isoler, ou de ne parler qu’aux personnes qu’on connaît. Pour moi, cette conférence a vocation à devenir une communauté.
Les gens reviennent fréquemment à l’USI, y retrouvent des amis et partagent des idées… Ça devient un de leurs rendez-vous annuels. S’ils sont prêts à prendre des novices sous leurs ailes, devenir leurs hôtes et les faire entrer dans cette communauté… Je crois que vous tenez là quelque chose de durable.
Qui aimeriez-vous voir à l’USI l’année prochaine ou dans les années à venir ?
Ca dépend de ce que vous voulez. Certains séminaires se focalisent largement sur les talents d’orateurs de leurs speakers. Et de nombreuses personnes parmi les plus intelligentes sur cette terre n’ont pas ce talent.
Il faut savoir ce que désire le public : est-ce qu’il veut être diverti tout en apprenant ? Est-ce qu’il aura la patience d’écouter un discours particulièrement mauvais en terme de rhétorique, et pourtant très important ? Beaucoup d’écrivains, par exemple, sont de très mauvais orateurs. Ils ont tendance à lire des passages de leur livre pour compenser leur trouble. Ils ne manipulent pas les mots de la même manière.
Beaucoup de gens brillants sont aussi très timides ou souffrent d’un léger syndrome d’Asperger. Tout dépend donc de ce que vous et votre public voulez, et de ce vous désirez retirer de cette conférence.
Retrouvez la vidéo intégrale du talk de Juan Enriquez, "Homo Evolutis" sur notre chaine Youtube ainsi que les questions posées par les participants lors de la conférence.