Julia De Funès - Travail : ne mécanisons pas nos façons d’être !
C’est avec un humour cinglant et une bonne dose de philosophie que Julia de Funès a capté l’attention du public d’USI 2018 autour de la thématique énigmatique « Bienvenue en absurdie ». Une conférence où elle a en fait tenté de mettre l’entreprise face à certains de ses stéréotypes, comme son amour des process, pour finalement inviter chacun non pas à être heureux dans son job, mais à faire preuve de courage.
Docteur en philosophie et fondatrice de Prophil Conseil, Julia de Funès n’aura peut-être pas converti tous les participants à la philo mais elle ne les aura certainement pas laissés indifférents. Elle a choisi d’interroger certains traits « absurdes » de l’entreprise du XXIe siècle : « Voilà 10 ans que j’interviens dans les entreprises, et j’ai pu y observer un certain nombre de conduites stéréotypées et un vocabulaire mécanisé qui m’ont parfois donné l’impression de tomber en absurdie », a-t-elle expliqué sans détour.
Mais avant d’émettre des hypothèses pour remédier à ces travers de l’entreprise, la philosophe a tenu à livrer un diagnostic expliquant sans doute les symptômes perçus sur les lieux de travail :
« Nous vivons dans une époque peuplée d’angoisses : le chômage, la cigarette, la viande, la grippe mais aussi le vaccin contre la grippe, les éco-catastrophes... Cette prolifération des peurs invite tout le monde à prendre des précautions au point qu’elle semble être utilisée pour se déculpabiliser de ne pas prendre de risques. Se prémunir des risques serait même sage. Ce qui aurait fait rire les philosophes grecs ».
Un contexte dans lequel les gens ont vite fait de glisser du principe de précaution à « une idéologie du précautionnisme », qui se traduit en entreprise par une contradiction entre le discours et les actes, a-t-elle estimé.
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Le process, cet ennemi de l’action
Ainsi, « on vit dans un contexte de peur généralisée mais en entreprise, on nous demande d’innover en permanence, d’être en capacité de disrupter. Et pour y parvenir on s’agite dans des process. On n’agit pas. Et ces process à tout va finissent par robotiser l’intelligence humaine, par dispenser l’esprit d’avoir à penser », a analysé la philosophe.
« On a même réussi à procéduriser le bonheur en entreprise ! », s’est-elle exclamée. Une aberration à ses yeux, « le bonheur comme état stable est déjà une fiction. On ne peut pas instrumentaliser le bonheur dans un souci de performance. Au contraire. Faire en sorte que les entreprises et leurs employés aient tout entre les mains pour être performants, c’est cela qui rendra heureux en entreprise et non l’inverse. « Le bonheur est une contingence, ce n’est pas une nécessité », a-t-elle fustigé. Et d’ajouter, « au process et au bonheur normé en cage dorée, je préfère l’action véritable qui est exactement l’opposé du process. L’action suppose le risque, la confiance et le sens, trois ingrédients que bannissent les process ».
Aussi pour elle l’entreprise fait-elle trop souvent passer les moyens pour une fin. Le travail pour le travail, l’argent pour l’argent, la réussite pour la réussite, une spirale qui amène au non-sens. Comme le process pour le process. « Mais pour agir il faut se poser la question de la finalité extérieure à l’activité elle même. Et il faut une bonne dose de confiance ». La confiance, un mot qui, encore une fois, est galvaudé selon elle. Trop souvent confondu avec l’assurance personnelle, le fait d’être positif, de se positionner en « winner », il dit en fait autre chose. Car lorsqu’on fait confiance, on se met en situation de vulnérabilité. « La confiance se construit dans l’ignorance et le risque », a encore expliqué Julia de Funès. Mais elle est bien nécessaire à l’action car « elle est la clé de l’autonomie, a-t-elle poursuivi. Le lien ne semble pas évident. Mais si je vous fais confiance, c’est que je suis parée pour réagir en cas de trahison ».
La singularité, clé de « l’humain » en entreprise
Ainsi, elle invite les entreprises à remplacer nombre de procédures par des actions. L’individu comprend alors réellement ce qu’il fait et « peut donc se libérer, assure-t-elle. Etre libre ce n’est pas s’affranchir de tout, mais c’est devenir la cause de l’effet qu’on souhaite produire. Le courage de dire et le courage de faire sont les vertus cardinales pour échapper à cette perte de sens et à cette peur généralisée ».
Une transformation qui permettra aussi de donner vraiment sens à cette expression que toutes les entreprises se sont appropriées : mettre l’humain au centre. Élément de discours, trop souvent bien pensant, voire démagogique, il signifie souvent « l’humain du conforme, de l’égalitarisme ». « Et c’est donc tout sauf humain. Puisque l’humain n’a d’existence que singulière. Aussi est-il temps de valoriser l’humain par des actions concrètes. Si tout devient aujourd’hui automatisable, ne mécanisons pas nos façons d’être. Soyons des êtres authentiques et pensants », a-t-elle conclu sous les applaudissements de la salle.