Alexandre Monnin, professeur en redirection écologique et design à l’ESC Clermont Business School), et cela se fera de gré ou de force, en réaction aux pénuries ou à un environnement trop hostile.
Je préfère donc dès aujourd’hui, volontairement, parce que j’ai la chance de pouvoir choisir, rééduquer mes désirs vers plus de sobriété en “choisissant des contraintes artificielles à mes propres dépens” (j'emprunte la formule à Gauthier Roussilhe, doctorant au RMIT et au Centre de Recherche en Design (ENS Saclay, ENSCI)) et inviter celles et ceux qui ont des privilèges à faire de même le plus rapidement possible.
Je choisis ces contraintes artificielles selon ma compréhension des limites physiques qui s’imposent déjà, et s’imposeront davantage dans le futur, ainsi que selon mes orientations politiques en matière de réductions des inégalités, discriminations et dominations. Pour terminer en revenant à l’entreprise, même dans une économie en décroissance (les contraintes pouvant être de nature physique et ou réglementaire et ou morale), il y aura des gagnants et des perdants, un peu comme pendant une période de récession, à la différence non négligeable que les penseurs de la décroissance nous invitent à organiser ces choix collectivement plutôt qu’à les subir par les seules règles du marché et de la libre concurrence.
Il se peut en effet… Je vais retourner la charge de la preuve : apportez-moi la preuve que la probabilité qu’il y ait de l’eau sur Mars justifie les moyens à mettre en oeuvre, apportez-moi la preuve nous avons suffisamment de ressources (en énergie, métaux, sol, eau) pour permettre à ce “il se peut” de se produire sans trop de souffrances (humaines et non humaines) et apportez-moi la garantie que ce possible bénéficie à toutes et tous indépendamment de sa couleur de peau, de son genre, de sa religion, de sa validité, de sa richesse, de sa nationalité, de son orientation sexuelle.
Explorons ce qui a le maximum de probabilités d’arriver plutôt qu’une vague promesse d’un futur obsolète.
Quand j’aurais ces preuves et cette garantie, alors je serai favorable à cette exploration. Sans celles-ci, je pense beaucoup plus sage et rationnel de s’abstenir. Surtout que Mars n’est pas habitable, la Terre si. Ne serait-il pas plus pertinent et réaliste de préserver l’habitabilité de la terre, et de la restaurer ? Il y a beaucoup à explorer en la matière ! Sur Terre c’est certain : il y a de l’eau ! S’il faut céder aux sirènes de l’exploration, alors explorons ce qui a le maximum de probabilités d’arriver (réinventer nos modes de vie sur Terre) plutôt qu’une vague promesse d’un futur obsolète (aller sur Mars pour exploiter la possibilité faible qu’il y ait de l’eau).
Pour aller plus loin, je crois que nous ne sommes pas soumis, par nature, à l’exploration à tout va et au toujours plus. Bien sûr, les neuroscientifiques ont découvert des mécanismes qui nous poussent physiologiquement à l’exploration (le striatum), et souvent nous découvrons aussi des mécanismes contraires qui les tempèrent et qui nous poussent à l'entraide, à l’empathie (neurones miroirs) ou à la routine (le cortex cingulaire). Mais ces mécanismes ne suffisent pas à expliquer nos choix de société, ni ce à quoi on donne de la valeur.
Il me semble important de s’abstenir d’utiliser la nature (de l’humain en particulier) comme une justification à tel ou tel choix de société. Et je trouve effrayant que collectivement “nous” (entendre les normes sociales dominantes en Occident) soyons si convaincus d’être l’aboutissement de l’évolution humaine. La lecture du livre de Graeber et Wengrow Au commencement était m’a ouvert les yeux sur nos fables collectives et par là-même sur de nouveaux possibles, de nouveaux choix collectifs, de nouvelles façon d’être en société pour lesquels la sobriété et la mesure sont belles, joyeuses, essentielles, éthiques et que la démesure et l’hubris sont criminelles.
À titre personnel, j’ai pu être tenté par l’aventure bitcoin à ses débuts, parce que je trouve l'algorithme beau et la proposition d’une monnaie non contrôlée par les banques très intéressante. Mais les cryptomonnaies supposent toute l’infrastructure du numérique et, selon les algorithmes, certaines sont extrêmement consommatrices de ressources (matérielles et électriques). Et puis, quel est l’intérêt social des cryptomonnaies ? À qui bénéficient-elles in fine ? Une monnaie non contrôlée par les banques est une idée qui me séduit, mais je ne suis pas certain que les cryptomonnaies soient la seule réponse possible. Donc en effet c’est “no way” pour moi.
Cependant, les algorithmes qui ont été développés pour ça pourraient être intéressants à transférer dans d’autres cas d’usage, à condition que leur fonctionnement soit le plus sobre possible et qu’ils répondent à un usage qui puisse bénéficier à toutes et tous.
C’est une philosophie politique de la vie en commun qui part du constat que “les doctrines politiques héritées (libéralisme, socialisme, communisme, anarchisme) ne sont plus des guides suffisants aujourd’hui parce qu’elles ne nous disent rien de décisif ni sur la finitude des ressources naturelles, ni sur la mondialité et la pluralité des cultures, ni, enfin, sur la bonne manière de juguler l’aspiration infantile à la toute-puissance (ce que les Grecs anciens appelaient l’hubris) inhérente au désir humain.” Ceci est extrait du site internet du convivialisme, je vous invite à creuser par vous-même si vous voulez en savoir plus.
Je ne sais pas répondre à cette question. Il n’est parfois pas possible de convaincre, surtout quand on ne joue pas au même jeu. Si sur un même plateau vous jouez aux dames, alors que votre collègue joue aux échecs, vous ne pouvez pas jouer ensemble.
Ma stratégie personnelle n’est pas de convaincre, mais de faire du mieux que je peux, en acceptant mes limites et mes contradictions. J’ose parler de mes peurs, de mes craintes, de mes inquiétudes face à l’état de notre monde, autant sur le plan environnemental que sociétal, en dehors de mon cercle proche et notamment en entreprise, à la machine à café ou sur les réseaux sociaux d’entreprise, en luttant contre la tentation de basculer dans une posture moralisatrice ou inutilement catastrophiste. J’ose dire non à ce qui ne me convient pas ou plus (par exemple prendre l’avion pour partir en mission). Et petit à petit, échanges après échanges, chacun trace son chemin, dans l’entreprise et en dehors. Bonne route !
Et si vous avez d’autres questions ou remarques suite à l’écoute de la conférence ou la lecture de cet article, n’hésitez pas à les poser en commentaire, je tâcherai d’y répondre.