Ludovic Duhem - Comment forger l’industrie ouverte de demain ? - USI 2023
À la croisée des chemins esthétiques et techniques, Ludovic Duhem porte la triple casquette d’artiste, philosophe et chercheur en histoire des sciences. À l’aune de ses recherches multiples, c’est à une question vertigineuse qu’il propose de répondre durant USI 2023 : alors qu’on la définit comme source de tous nos maux, comment ouvrir l’industrie ?
De la nécessité d’« ouvrir » l’industrie
Pour introduire son propos, Ludovic Duhem propose un premier décentrement en rappelant les cinq blessures narcissiques de l’Humanité, à savoir que :
1. La Terre n’est pas au centre du monde ; 2. L’espèce humaine est le produit de l’évolution ; 3. La conscience n’est pas la seule chose qui nous définit puisque nous sommes également le produit de notre inconscient ; 4. D’autres êtres vivants pensent ; 5. Nos actions ont un effet sur l’environnement.
Alors que ces blessures narcissiques sont désormais intégrées, elles replacent l’Homme dans une conscience plus large de la finitude. Dès lors, nous questionne Ludovic Duhem, comment positionner l’industrie ? Peut-on même encore continuer l’activité industrielle ? Oui, nous répond le philosophe, mais pas à n’importe quelles conditions !
Inscrire l’industrie dans le temps long
Dès les années soixante-dix, la notion d’ère « post-industrielle » émerge. Or, nous indique Ludovic Duhem, cette notion est totalement fausse : nous sommes au contraire bel et bien ancrés dans une ère « hyper industrielle », selon la terminologie de Bernard Stiegler.
Dans un tel contexte, le philosophe nous invite à faire deux choses. La première consiste à repenser l’industrie en rapport avec la technique et notamment à considérer qu’il n’y a pas d’opposition directe en technique et culture, ni entre technique et nature.
La deuxième, plus spécifiquement, s’intéresse à replacer l’industrie dans le temps long. Comme le rappelle Duhem, l’industrie n’est pas née au XVIIIe siècle contrairement aux idées reçues, mais préexiste à la révolution industrielle. Dès le Paléolithique supérieur, nous rappelle le philosophe, on retrouvait déjà des éléments caractéristiques de l’industrie : la division du travail (avec des ateliers de pointes de flèche, par exemple), la standardisation ou encore la concentration du travail sur un lieu spécifique. Au même titre, Ludovic Duhem rappelle que l’énergie de la vapeur a été inventée dans l’Antiquité grecque tandis que l’idée de robotisation date d’Aristote...
Industrie ouverte vs industrie fermée
L’artiste-philosophe le martèle : « aujourd’hui, l’industrie est fermée à presque tous les étages ». Elle rend strictement impossible, pour la plupart des produits, la connaissance du fonctionnement, la maintenance et la réparation de l’objet. C’est une industrie qui met à distance l’utilisateur, le producteur et le concepteur. De fait, dans la grande majorité des objets que nous utilisons, il est impossible de démonter les éléments, de les remplacer, que ce soient pour des raisons de sécurité ou réglementaires. Le constat est donc sans appel : nous évoluons dans un système où la connaissance ne circule pas.
Dès lors, quels sont les modes d’ouverture pour l’industrie ? Pour Ludovic Duhem, « il est urgent d’ouvrir à la connaissance du fonctionnement, à l’entretien, et à la réparation ». Plus largement, l’industrie doit s’ouvrir au milieu : « l’industrie ouverte est nécessairement locale », développe le philosophe.
Au niveau macroéconomique, une industrie ouverte ne peut s’inscrire que dans le cadre d’une économie ouverte de type éco-sociale, à savoir une économie où les enjeux économiques sont indissociables des enjeux sociaux et réciproquement. « Nous devons passer d’une industrie fermée à une industrie ouverte, d’une économie standard à une économie éco-sociale qui ne considère plus la nature comme un objet, un stock, un service ou un capital », conclut le philosophe.
Take Away
· L’humanité n’a jamais connu d’ère « post-industrielle », nous sommes au contraire dans une ère « hyper industrielle ».
· Nous devons passer d’une industrie fermée à une industrie ouverte.
· Elle doit, pour cela, s’ouvrir à la connaissance du fonctionnement, à l’entretien, à la réparation, et s’ancrer dans les territoires.
· L’industrie ouverte doit s’inscrire dans une économie éco-sociale, soit une économie où les enjeux économiques sont indissociables des enjeux sociaux et réciproquement.