Henrik Kniberg - Méthodes agiles : état des lieux et perspectives
Coach agile et gourou malgré lui, Henrik Kniberg a conseillé des entreprises parmi les plus innovantes, telles que Spotify ou Lego. Invité comme conférencier à l’USI 2017, il partage ses découvertes et croyances concernant les méthodes agiles devant une audience captivée.
Ce qui a commencé comme une potion magique pour améliorer l’efficacité des équipes de développement informatique s’est désormais propagé aux autres départements : RH, achats, formation, management de projet… Comment expliquer cet engouement pour les méthodes agiles ? Et peuvent-elles être la recette miracle pour toutes les organisations ?
Du ‘waterfall model’ aux méthodes agiles
Pendant des années, les projets informatiques ont suivi une méthodologie appelée ‘Waterfall model’. L’approche était la suivante :
- Un client a un problème qu’il souhaite résoudre.
- L’équipe “besoin client” analyse le problème, fait une synthèse et la transmet à l’équipe design,
- L’équipe design étudie comment designer le produit, écrit un nouveau document et le partage à l’équipe de développeurs,
- Les développeurs écrivent le code et transmettent à l’équipe de test,
- L’équipe de test évalue le code, résout les bugs, et livre le produit au client…
- … et la plupart du temps le client est insatisfait.
Dans ce modèle, de nombreuses incompréhensions apparaissent et l’ensemble du projet pâtit d’un manque de retours réguliers de la part du client. Et la conséquence est sans appel : produits non fonctionnels ou ne correspondant pas au besoin client, dépassement budgétaire… Ces échecs à répétition s’expliquent par trois hypothèses erronées : le client sait ce dont il a besoin, l’équipe sait comment le réaliser, et rien ne change en cours de route. Les méthodes qui fonctionnaient dans le cas de projets simples et prédictibles ne marchent plus dans un environnement complexe et changeant – qui nécessite au contraire un processus adaptatif.
Une entreprise se voulant agile doit commencer par supprimer les silos au sein de son organisation, et créer à la place des équipes cross-fonctionnelles. Au lieu de réaliser un produit d’une traite, du début à la fin, cette équipe cross-fonctionnelle construit une partie du produit, le délivre partiellement, et reçoit un feedback partiel, ce qui lui permet d’ajuster et d’avancer un peu plus le produit, etc. Ainsi, le produit se rapproche progressivement du besoin client.
L’hégémonie des méthodes agiles
Pourquoi les méthodes agiles se propagent-elles si vite ? Pourquoi fonctionnent-elles si bien ? Et ne fonctionnent-elle pas dans certains cas ?
Selon Henrik Kniberg, les organisations sont rongées par le superflu. “La majorité de ce qu’on voit au travail est inutile” : des produits que personne n’utilise, des fonctionnalités dont personne n’a besoin, des réunions qui ne servent à rien, des documents dont personne n’a besoin… Les méthodes agiles donnent la liberté aux collaborateurs de remettre en cause le status quo afin de se concentrer sur l’essentiel.
Les domaines intrinsèquement prévisibles – des projets clairs, stables, simples, que l’équipe maîtrise – ne nécessitent pas forcément de méthode agile. Une méthodologie classique peut être suffisante, et sera sans doute même plus efficace. Les méthodes agiles trouvent tout leur sens dans des domaines complexes, pour lesquels les besoins clients sont incertains et changeants, les solutions à employer peu claires, et les technologies évoluent rapidement. Dans ce type de projets, il est inutile de chercher à viser le plus juste possible ; il vaut mieux initier le projet dans la bonne direction, et ensuite s’adapter – “comme un missile à tête chercheuse”.
Et dans notre monde qui accélère et se complexifie toujours plus, les entreprises ont de plus besoin d’agilité pour augmenter leur productivité, pour gérer des priorités changeantes, pour être plus compétitives.
"Les méthodes agiles donnent la liberté aux collaborateurs de remettre en cause le status quo afin de se concentrer sur l’essentiel. "
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Dans les profondeurs des méthodes agiles
Scrum, eXtreme Programming et Kanban sont trois boîtes à outils agiles comme les branches d’un arbre dont le tronc serait les principes lean et agiles. Au lieu de se concentrer sur l’effort fourni (le nombre d’heures travaillées, l’utilisation des ressources…) ces méthodes se focalisent sur l’output, avec chacun ses priorités :
- Kanban s’attache au temps pour réaliser un cycle et faire une ‘release’.
- Scrum cherche à optimiser la vélocité, soit le nombre de tâches réalisées au cours d’un sprint hebdomadaire.
- XP mesure également la vélocité à travers le “Load Factor” (facteur de charge, le ratio entre le nombre idéal de jours nécessaires pour réaliser quelque chose et le nombre effectif) ainsi que l’évolution de la suite de tests fonctionnels (le nombre de tests fonctionnels écrits par le client et réussis chaque semaine).
Chacune avec ses spécificités, les méthodes Kanban, Scrum et XP partagent les mêmes principes agiles et lean :
- Travail en équipes petites, stables, cross-fonctionnelles, auto-gérés et co-localisées
- Releases et feedback clients réguliers
- Expérimentations fréquentes sur le produit et les processus
- Focus sur la valeur apportée (satisfaction client, profit) et l’apprentissage
Avec ces méthodes, de plus en plus d’entreprises agiles gagnent des parts de marché détenues historiquement par les grosses organisations plus rigides – qui réalisent leur besoin urgent de changement. Mais les méthodes agiles ne sont pas une recette miracle : plus elles sont utilisées, moins elles sont différenciantes. Aujourd’hui, ces méthodes sont déjà largement adoptées par le secteur IT – mais elles n’en sont qu’à l’étape ‘early adoption’ pour les autres départements.
Henrik Kniberg prédit une accélération du changement et de la complexification du monde au cours des 10 prochaines années. Les méthodes agiles seront la norme et de nouveaux modèles vont apparaître. Elles continueront à se propager à d’autres industries, et les organisations qui ne réussiront pas cette transition mettront la clé sous la porte.