Les dinosaures ne sont pas des « loosers » ! - Kenneth Lacovara.
À l’échelle de la vie sur Terre, l’Homme n’est qu’un nouveau-né. Les dinosaures eux ont perduré jusqu'il y a 65 millions d’années, et auraient pu peupler la planète plus longtemps encore si un astéroïde géant ne les avait pas tués. En matière d’échec à s’adapter, on ne peut rien reprocher aux dinosaures. On ne peut en dire autant des Hommes. Tels sont les apprentissages qu’a souhaité partager avec le public d’USI 2018 l’explorateur et paléontologue Kenneth Lacovara.
« Si je disais qu’Einstein est synonyme de l’obsolescence parce qu’il est mort et n’a pas su, malgré ses connaissances et son génie, éviter sa propre disparition. Si je disais la même chose de Marie Curie ou de Louis Armstrong. Vous trouveriez cela ridicule ? Oui. Alors pourquoi associe-t-on les dinosaures à une espèce qui n’a plus sa chance et est vouée à disparaître, à des loosers ? Je ne suis pas d’accord. Les dinosaures ont dominé pendant plus de 165 millions d’années et savaient très bien s’adapter ».
Dès l’introduction de sa conférence, l’auteur de l’ouvrage Why Dinosaurs Matter, a su captiver son auditoire et posé le ton d’une conférence hors genre et passionnante pour l’avenir même de l’Homme.
Que savons-nous des dinosaures ?
À ses yeux, plusieurs raisons expliquent le fait que l’on déconsidère les dinosaures. La cause de leur disparition d’abord, toujours assez méconnue. Certains croient encore qu’un changement climatique majeur, au cours duquel les volcans se sont déchaînés, a entraîné la fin de l’ère des crétacés et que les dinosaures seraient donc morts de n’avoir pas su s’adapter, a rappelé le scientifique.
« Mais si je vous disais que les dinosaures ne sont pas morts d’incompétence, mais qu’ils se sont faits assassinés ? Eh bien, c’est ce qu’il s’est passé », a-t-il affirmé.
En réalité, un astéroïde géant s’est écrasé dans la province du Yucatan, provoquant une onde de chaleur telle que des incendies et des éruptions se sont déclenchés partout sur Terre. Des événements qui ont conduit à l’émission d’une telle quantité de suie que la lumière du soleil a été bloquée et la photosynthèse rendue impossible pendant un an et demi. Autant d’éléments en chaîne qui ont concouru à l’extinction des dinosaures mais aussi à celle de 75 % des espèces qui vivaient alors sur Terre, le plancton, en mer, ne pouvant plus se nourrir. Seules sont restées, semble-t-il, des organismes vivants ayant extrêmement peu besoin de lumière.
Autre raison au manque de considération dont pâtissent les dinosaures : « peu de gens savent vraiment ce qu’est un dinosaure et que des animaux actuels y sont liés », a poursuivi Kenneth Lacovara. « La plupart des livres éducatifs pour les enfants placent par exemple les mésosaures ou mosasaures au rang des premiers dinosaures marins. Ce qui est faux. En revanche, un petit pingouin bien poilu d’aujourd’hui, lui, est un dinosaure. Comme la poule. Ce sont des descendants très lointains. Cela montre bien que le sens commun, celui qui s’appuie sur la ressemblance notamment, n’est pas un guide fiable pour comprendre l’univers », a tranché, avec une bonne dose d’humour, cet explorateur du passé.
L’homme, une petite espèce dans l’histoire terrienne
Cette perception incomplète, ou erronée, vient aussi du fait que les hommes se considèrent comme l’espèce dominante et n’imaginent pas qu’une autre ait autant dominé qu’eux, a-t-il ajouté. En réalité, si on concentre les 4,6 milliards d’années d’existence de la Terre sur un calendrier d’un an, il faut attendre le mois de mars pour voir apparaître la vie unicellulaire, et la fin novembre pour les êtres dotés de carapaces et les exosquelettes. « Pendant tout ce temps, la vie est restée cantonnée aux océans. Sur Terre, c’était similaire aux représentations que nous avons de mars, a encore précisé Kenneth Lacovara. Résultat, les dinosaures n’apparaissent sur ce calendrier que la deuxième semaine de décembre. Quant aux hominidés, ils arrivent à 15h30 le 31 décembre, et l’homme d’aujourd’hui à quelques minutes de la nouvelle année. Si la Terre n’avait qu’un an, nous n’existerions que depuis quelques secondes ! »
Pour lui, l’étude des dinosaures, du moins des fossiles qu’il en reste, est donc particulièrement importante pour comprendre le cycle de la vie et des espèces et mieux appréhender le futur. Et beaucoup reste à découvrir. Il en a d’ailleurs fait l’expérience en 2014 en Terre de Feu, au sud de l’Argentine, en révélant un nouveau genre de Dinosaure, le plus titanesque jamais identifié : le « dreadnoughtus ». Après avoir trouvé, d’abord, un fémur de 2 mètres, il a réussi à réunir 145 os et une dent de ce dinosaure dont l’analyse lui a permis d’établir qu’il s’agissait d’un herbivore de 65 tonnes, avec un cou mesurant plus de 25 mètres. « C’était donc un mastodonte qui ne craignait rien. Il avait très certainement des capacités d’adaptation considérables. Mais ce que nous montre l’étude de notre passé c’est à quel point les évènements interagissent entre eux, à quel point tout changement compte – nous sommes tous des mutants de la nature – et à quel point l’improbabilité de notre existence est élevée ! », a expliqué le paléontologue.
Et la morale dans cette longue histoire terrienne ? Pour Kenneth Lacovara, « nous ne sommes pas là par toute puissance. Nous avons eu de la chance dans les diverses évolutions. Il faut donc être reconnaissant avec la nature, et non faire preuve de fierté. Et pourtant ce sont nous aujourd’hui qui abîmons notre environnement en libérant des toxines dans l’air. Nous sommes l’astéroïde. Nous devons au contraire être les dinosaures adaptables, résilients. Les champions d’une époque ! ».