Rotor - Le défi du réemploi des matériaux - USI 2023
Rotor est une association sans but lucratif bruxelloise fondée en 2005, spécialisée dans le réemploi des matériaux de construction. Elle a donné suite à Rotor DC en 2016, une entreprise coopérative qui récupère, conditionne et vend les matériaux et éléments de construction réutilisables. Cécile Guichard, designer et chercheuse, ainsi que Michaël Ghyoot, architecte, présentent Rotor.
Une histoire du réemploi
Pour démarrer le portrait de Rotor, Michaël Ghyoot commente une photo de Bruxelles jonchée de déchets de démolition, non triés. Le détail a son importance : « Les déchets sont tous mélangés, envoyés dans des centres de regroupement où se déroule un tri sommaire, à la main et à la grue. Puis enfouis dans des décharges ». Impossible de les réemployer, donc. Mais les démolitions ne se sont pas toujours exécutées de la sorte. On peut même affirmer que le réemploi était une pratique courante jusqu’au début du XXe siècle, où les démolisseurs allaient récupérer des matériaux avant de les revendre. Or aujourd’hui, la démolition est devenue une source de coût pour le propriétaire.
Pourtant des initiatives émergent en Belgique, aux Pays-Bas, en France et récemment en Allemagne. Rotor a lancé Opalis, une plateforme en ligne qui documente les entreprises spécialisées dans la récupération de matériaux. « Cela permet aux gens qui cherchent des matériaux de réemploi de trouver un partenaire adéquat dans leur aire géographique », développe Ghyoot. Car l’avantage de ces initiatives est aussi de réduire la distance de voyage des matériaux, favorisant une économie ancrée régionalement.
Les missions de Rotor DC
Qu’en est-il alors plus précisément de Rotor DC ? Cécile Guichard détaille l’organisation de la coopérative en trois pôles : acquisition, reconditionnement et commercialisation. Quid de la récupération de matériaux ? « On reçoit beaucoup de propositions spontanées : un simple e-mail et des photos peuvent susciter l’intérêt. On s’intéresse essentiellement à des matériaux de finition. Ce sont les plus faciles à démonter, et c’est là où on met le plus de valeur dans les bâtiments contemporains. » Un service de dépôt-vente a également été mis en place dans leurs locaux pour encourager la démarche auprès des entrepreneurs et des particuliers. Et ce sont les portes qui en ont profité : « Chez les menuisiers, c’était un réflexe de garder les portes. Maintenant, ils peuvent les déposer chez nous, car il y a de la place. » Les projets semblent ne jamais s’arrêter. Rotor DC a aussi développé un atelier de recâblage des luminaires aux normes européennes.
Mais certaines tâches prennent plus de temps que d’autres. « Le travail le plus conséquent dans notre quotidien est de faire du tri », détaille Cécile Guichard. Vient ensuite l’étape de la commercialisation, une phase complexe, car les matériaux de deuxième main suscitent beaucoup d’interrogations. Pour y répondre, la coopérative a donc développé des services adaptés. « Notre site internet inventorie chaque matériau. Pour une porte, on sait si elle ouvre à droite ou à gauche par exemple. Cela permet aux architectes et designers de pouvoir avoir toutes les informations, même à distance », explique la designer.
Repenser globalement nos usages des matériaux
Pour être définitivement résurgente, la pratique doit être le fruit de plusieurs acteurs. « Il faut repenser de manière structurelle la façon dont on prescrit les matériaux dans un projet d’architecture », d’après Michaël Ghyoot. Cela passe d’abord par une adaptation à la seconde main du cahier des charges industriel et technique des architectes et des certifications. « Dans l’ensemble, ils ont été développés avec des matériaux industriels neufs. » Car l’enjeu est aussi de faire se croiser les acteurs de la construction et celui des revendeurs de matériaux, le contrôle qualité industriel d’un côté, et le savoir-faire artisanal de l’autre. Deux univers qui « se passent souvent à côté ». Qu’est-ce qui pousse Rotor DC à se saisir de ces questions ? « L’impact environnemental, répond Michaël Ghyoot. Les activités nécessaires au maintien en circulation des matériaux de seconde main sont très peu lourdes en énergie. »
Pour Michaël Ghyoot, un exemple vaut mille mots. Ces dernières années, Rotor DC a accompagné l’aménagement d’un bureau avec des matériaux de réemploi. « La terrasse est faite en bois de récupération, les panneaux sont issus de l’industrie du béton. L’escalier, c’est de la récupération d’un bâtiment au nord de la ville. L’un des gros défis a été de réemployer des fenêtres, car il y a des exigences énergétiques à atteindre. Si l’on reste exigeant sur la performance, on s’autorise plus de liberté sur les châssis et les couleurs. Comme ça, les architectes ont pu jouer un jeu de composition architecturale. Il y avait une abondance de possibilités. Ils ont mis une fenêtre demi-lune à l’envers ! » Si en plus, le réemploi booste la créativité…
Take away
- Le réemploi des matériaux de destruction était courant jusqu’au début du XXe siècle. Les démolisseurs étaient aussi des revendeurs.
- Les normes de qualité actuelles ne sont pas adaptées aux produits de seconde main. Pour faire émerger le réemploi, il faut des changements structurels.
- Le réemploi des matériaux a de multiples avantages écologiques. Il permet de ne pas se procurer du neuf, et favorise l’économie régionale : souvent, les matériaux transitent dans un secteur géographique de 500 km.
- Dans des projets d'architecture, l’usage de matériaux de seconde main booste la créativité. Eh oui, fini le sur-mesure !