Timothée Parrique - Cap vers la décroissance ? - USI 2023
Depuis 2022 et la sortie de son livre Ralentir ou périr, le chercheur spécialiste de la décroissance Timothée Parrique enchaîne les conférences. Mais c’est peu dire que le concept persiste à diviser. Avec son franc-parler habituel, l’économiste nous livre ses réflexions et questionnements sur la décroissance : qui est-elle ? D’où vient-elle ? Quelles seraient ses implications dans notre système économique actuel ? Réponses lors de son talk lors d’USI, “Vers une économie de la post-croissance”.
Croissance vs décroissance : un débat vieux de 50 ans
Timothée Parrique débute sa conférence à USI en retraçant l’histoire de la décroissance. La généalogie du concept a débuté après 1968, avec des auteurs comme Nicholas Georgescu-Roegen (La bioéconomie) ou Ivan Illich (La Société conviviale). Ce que disaient déjà, en creux, ces auteurs tient en quelques mots : « les principes de base de l’économie ne sont pas compatibles avec la physique », rappelle l’économiste. Aujourd’hui, la décroissance connaît un vrai regain d’intérêt : 700 articles scientifiques y ont été consacrés en 2022, contre un seul en 2007.
Du côté de la croissance, il y a un imaginaire qui tiendrait presque du caractère religieux, selon le chercheur. « La croissance est devenue un totem de la modernité. » À l’évocation de ce mot, on peut penser innovation, modernité, amélioration du bien-être, qualité de vie, emploi, dynamisme des entreprises, puissance géopolitique, sécurité, résilience… Pourtant, en restant pragmatique, « la croissance, c’est l’augmentation du PIB, un indicateur d’agitation monétaire, assez pourri d’ailleurs. » Selon Timothée Parrique, le concept de décroissance est un « un outil de décroyance » qui sert précisément à questionner la croissance économique : d’où vient-elle ? Par qui ? Avec quoi ? Pour qui ?
À l’inverse, selon Timothée Parrique, la décroissance représente « la décrue, la rivière qui rentre dans son lit, qui retourne à la normale. » Une sorte de retour à l’équilibre. Et voici ses caractéristiques principales : une réduction de la production et de la consommation, l’allégement de l’empreinte écologique, une planification démocratique, la justice sociale et, enfin, un état stationnaire.
Vers de nouvelles modalités d’organisation
Pour le chercheur, le capitalisme n’est qu’un système économique issu d’un agencement particulier d’institutions. Au cours de l’histoire, les sociétés ont eu autant de systèmes économiques qu’il y avait d’agencements d’institutions. L’économie capitaliste se base sur quatre institutions fortes : la prédominance de l’échange marchand (« Vous donnez de l’argent, je vous donne un tapis ») ; la lucrativité comme moteur de l’entreprise ; la concentration privée des moyens de production ; le salariat comme mode d’organisation du travail.
À l’inverse, si des logiques de don ou de réciprocité se mettent en place, si les entreprises deviennent des Scop (Société coopérative et participative, où les salariés sont associés), si on socialise certains moyens de production, et si on instaure un salaire à vie, alors le système change. « On fait transition, conclut-il. La décroissance va nous amener à abandonner ces quatre institutions : elles deviendraient minoritaires. »
La décroissance au coeur de la controverse
« Quand vous travaillez sur la décroissance, vous êtes un éco-terroriste qui travaille à faire advenir un passé idyllique à base de charrettes et de bougies. » C’est ainsi que Timothée Parrique ironise sur ses interactions quasi-quotidiennes avec les partisans de la croissance. Tous les jours, il fait face aux mêmes controverses. Il a lui-même répertorié une trentaine d’entre elles dans l’un des chapitres de sa thèse, The political economy of degrowth.
Retenons-en une, avec contre-argument à l’appui. Il s’agit de la croissance verte, qui selon Timothée Parrique constitue un pur mirage : « aucun pays au monde, à aucun moment de son histoire, n’a réussi à concilier croissance économique et baisse de son empreinte écologique. » [ "Il n'y a pas de croissance verte", nous expliquait Aurore Stéphant dans son talk pour USI 2022 "Ruée minière au XXIè siècle : jusqu'où les limites seront-elles repoussées ?", ndlr].
Le chercheur finit par conclure sur un appel à réfléchir, tout au long de l’USI : « J’aimerais qu’on ait un moment de suspension pour se dire : nous allons prendre le temps de questionner des concepts compliqués : les richesses, l’égalité, la croissance. Pour explorer des futurs que nous ne nous sommes jamais permis d’explorer. Des futurs post capitalistes, post croissance. »
Take away
- La décroissance est un concept scientifique riche des réflexions conceptuelles des 50 dernières années.
- Les apports réels de la croissance ne sont que rarement remis en question, alors qu’elle n’est, si l’on reste pragmatique, qu’un indicateur économique.
- La décroissance est définie comme une réduction de la production et de la consommation, un allégement de l’empreinte écologique, une planification démocratique, de la justice sociale et, enfin, un état stationnaire.
- Le capitalisme n’est qu’un système économique qui dépend de différentes institutions économiques et sociales, il est possible d’en changer.
- La croissance verte, c’est-à-dire la capacité à produire plus tout en polluant moins, a la préférence des partisans de la croissance. Cependant, elle ne s’est encore jamais produite.