Pour faire naître une idée - La conférence de Cédric Villani
"Résoudre des problèmes : c’est le métier des designers mais aussi des mathématiciens. Et parfois on se crée soi-même les problèmes que l’on se pose."
Cédric Villani
Mathématicien INSTITUT HENRI-POINCARE #USI2015
Pour innover, il faut avoir des idées. Et pour avoir des idées, il ne faut pas trop les chercher. C’est en tout cas le conseil de Cédric Villani quand il nous parle de son expérience en tant que mathématicien (Médaille Fields en 2010). Pour lui, la naissance des idées est avant tout une histoire de chance et de contexte. Et avec une idée, on peut changer le monde.
Le métier de mathématicien est titré dans au moins deux classements différents (Wall Street Journal, 2009) comme étant le meilleur métier du monde, suivi de près par de nombreux métiers scientifiques. Le mathématicien, c’est « c_elui qui applique des formules pour résoudre des problèmes »,_ mais c’est aussi un créatif qui se cherche. Nous vivons en effet dans un monde extrêmement mathématique, où les formules prennent vie en se mariant avec d’autres outils et permettent innovations et avancées technologiques : cela peut être la mesure du temps, la géolocalisation, la santé… Le phénomène n'a fait que s’amplifier depuis la révolution informatique. C’est donc dans le dosage entre anciens et nouveaux outils que réside aujourd’hui toute la force des mathématiques.
Pas de prédiction possible
Mais « la vie d’un mathématicien n’est pas un océan de félicité » et le chemin est long et chaotique entre le moment où vient idée et celui où elle est prête à envahir le monde. D’après Cédric Villani, la réalité quand on fait de la recherche est bien plus complexe qu’un problème posé et une recherche de solution. C’est plutôt une grande boucle qui ne fait que revenir sur elle-même, à la recherche d’un sens. Chaque jour vous échouez et recommencez, jusqu’au jour ou une idée sort, mais « quand vous avez une bonne idée, vous êtes incapable de savoir d’où elle vient ». Les bonnes idées ne peuvent pas être prévues. Et la plupart du temps, on ne sait pas ce qu’elles viennent résoudre.
À la source
Mais comment viennent ces idées ? Nous ne le savons pas et ne le saurons probablement jamais. Cela dépend d’après lui de phénomènes inconscients qu’on ne sait expliquer. Ce qui est certain, c’est que le processus de création est fait d’erreurs, de contradictions, de coups de théâtre, de surprises, de ressentis, d’imprévus, et de 7 ingrédients nécessaires à la naissance d’une idée :
- L’information
L’idée n’est jamais venue du vide. Culture, documentation, observations, associations d’informations sont sources de toute création.
- La motivation
Même si l’on ne connaît pas exactement les origines de la motivation, c’est l’ingrédient principal au développement de la science. Sans elle, c’est tout le monde scientifique qui est menacé.
- L’environnement
Une idée étant le résultat de signaux que l’on reçoit de son environnement, il est primordial de s’y sentir à l’aise et de pouvoir en varier. “Un chercheur isolé n’existe pas”.
- Les échanges
La collaboration et la communication participent à l’émergence d’une idée: « un cerveau délocalisé est beaucoup plus efficace ».
- Les contraintes
« Pas de créativité sans contraintes »: c’est uniquement en ayant la volonté de les dépasser que l’idée peut prendre forme.
- Le dosage
Il faut savoir conjuguer moments d’acharnement et illuminations plus aléatoires.
- La persévérance
Il faut reconnaître la chance quand elle se présente, et cela va de pair avec le fait de ne jamais arrêter d’essayer.
Lâcher prise
Sinon, il reste toujours la méthode Poincaré, que Cédric Villani cite à plusieurs reprises pendant son intervention : le lâché prise. S’évader et penser à autre chose. Pour se faire rattraper aussi vite par l’idée, presque venue de nul part. « Je me mis alors à étudier des questions d’arithmétique sans grand résultat apparent et sans soupçonner que cela put avoir le moindre rapport avec mes études antérieures. Dégoûté de mon insuccès, j’allais passer quelques jours au bord de la mer et je pensais à autre chose. Un jour, en me promenant sur la falaise, l’idée me vint, toujours avec le même caractère de brièveté, de soudaineté et de certitude immédiate, que les transformations arithmétiques des formes quadratiques ternaires indéfinies étaient identiques à celles de la Géométrie non euclidienne. » (Henri Poincaré)
Reste ensuite à les rendre encore plus précieuses en les publiant, et les partageant. Pour continuer à les faire grandir.